Le 4 octobre, notre Président a tenté d’imposer à la Commission européenne sa conception de la lutte contre le piratage sur Internet (vous pouvez vous reporter à mon billet sur l’amendement n°138). N’y étant pas parvenu, il s’efforce de devancer l’Europe en faisant voter par nos parlementaires sa loi Création et Internet.
Le texte initial proposait, en cas de récidive de téléchargement illégal, de permettre à une Haute autorité administrative d’ordonner la coupure de l’accès à Internet. Dans un premier temps, un amendement a substitué à la coupure le principe d’une amende mais le 30 octobre, le Sénat a rétabli le principe de la coupure. Je reviendrai un de ces prochains jours sur les différents éléments qui font d’une telle mesure un total déni de justice. Je m’attache simplement ici à souligner la qualité des arguments de notre ministre et de nos parlementaires.
Mlle Sophie Joissains, benjamine du Sénat, a eu l’aplomb d’y déclarer le 29 octobre : « Pour ce qui concerne la question du piratage des œuvres culturelles, de nombreuses initiatives sont menées par les différentes institutions communautaires, dont la Commission européenne. Celle-ci a ouvert une consultation avec les États membres et les partenaires concernés pour étudier l’approche française. C’est bien la preuve que nos voisins cherchent également une solution en ce sens. » Il faut un immense culot pour justifier par la préoccupation européenne le besoin d’une loi française, qui est concotée dans la précipitation à seule fin de soustraire notre pays à une future loi de l’Union.
Elle poursuit ainsi : « Ce dispositif législatif, tel qu’il est conçu, présente une réponse graduée, souple et adaptable. Il s’inspire des résultats obtenus, via des outils très similaires, dans d’autres États confrontés aux mêmes difficultés. Et nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés ! Ainsi, aux États-Unis et au Canada, pays dans lesquels un avertissement est adressé aux contrevenants, 90 % des internautes – j’insiste sur ce pourcentage – renoncent au téléchargement illégal dès le deuxième message. La dissuasion est plus efficace que la sanction. » Cet argument relève du mécanisme fallacieux consistant à asséner des chiffres qui, lorsqu’ils sont vérifiés, s’affairent ou bien faux ou bien correspondent à des situations entièrement différentes. Cette demoiselle se garde bien de nous dire en quoi les outils auxquels elle se réfère sont « très similaires ».
Le point culminant est ce qui suit : « Le groupe UMP s’est prononcé contre le principe de la sanction financière, car celle-ci risquerait de créer une inégalité entre les internautes capables d’acquitter leurs amendes et ceux dont la situation matérielle ne le permet pas ». Dire que ce sont des individus de cette trempe qui ont la charge d’élaborer nos lois. Si nos élus, de la majorité comme de l’opposition fondent leur décision sur ce type d’argument, il faut sans plus attendre supprimer de notre arsenal judiciaire ou administratif, toutes les amendes car, dans leur principe même, les amendes sont inégalitaires. Madame Christine Albanel s’est prononcée dans le même sens que Mlle Sophie Joissains. Elle estime que l'amende s'inscrirait « dans une logique plus répressive que pédagogique. Elle est injuste: soit l'amende est insignifiante, donc inefficace ; soit elle est sensible et l'on crée une inégalité selon la situation de fortune ». Sur FR3, le 28 octobre, elle a osé dire que la coupure de l’accès s’inscrit dans une «logique pédagogique alors qu’avec l’amende je trouve qu’on est beaucoup plus dans une logique répressive ».
Allons plus loin. Non content de supprimer les amendes qui ne dissuadent guère les fortunés, supprimons aussi les peines de prison. Elles aussi sont inégalitaires car sans effet sur les indigents qui, grâce à elles, trouvent gîte et provende.