pour quelques lignes tortueuses

Publié le 03 novembre 2008 par Lironjeremy

Le texte est d’abord cet ensemble de pistes et de données éparses. Des échos, des anecdotes à dire et l’inconnu qu’ouvre sous nous ce que l’on prend pour objet - disposé à l’attention comme une mallette sellée. Chaque extrapolation posée suggère des rebonds et cherche à s’échapper. Un moment vous vous trouvez avec quantité de notes, d’esquisses, parfois juste des mots ou des tournures qui pourraient inspirer la courbure du texte. J’ai ici noté « Envisageant »,« Quelque chose en nous incline », des hésitations « confondus dans nos rêves / à la faveur de nos songes ». Parfois des phrases entières qui se présentent comme des portes dont il manque à créer les pièces vers lesquelles elles donnent, ou comme des destinations, des étapes. « Le monde s’étoile autour de nous en de multiples polarités.Il nous semble que nous sommes à l’intervalle de l’immensément petit et de l’immensément grand, repliant un lointain passé sur un hypothétique futur. Suspendus dans cet espace tout le temps que nous mettons à nous parcourir », « et se développe, pareil au terrier de Kafka, avec ses poches, ses obsessions, ses boyaux », « C’est une facétie à la fois et une relation tendre au monde que de creuser des terriers dans les belles galeries, y bricoler sa cabane », « mal décidés entre éclaircir le monde à quelques certitudes scientifiques et le peupler d’histoires et de légendes. La pensée se perd à viser l’un ou l’autre. » Et parfois des extraits qui semblent susceptibles de nourrir le sujet : D’abord Perec et son introduction aux espèces d’espaces : « l’objet de ce livre n’est pas exactement le vide, ce serait plutôt ce qu’il y a autour, ou dedans. Mais enfin, au départ, il n’y a pas grand-chose : du rien, de l’impalpable, du pratiquement immatériel », « Comme émergée, une géométrie sous-jacente du monde, comme l’aleph borgésien : un lieu où se trouvent sans se confondre tous les lieux de l’univers », « l’homme requiert un monde dans l’exacte mesure où il a besoin d’une demeure sur la terre pour la durée de son séjour, écrivait Hanna Arendt », « J’écris pour me parcourir » H. Michaux. Et peu à peu se dessine un territoire vaste, à la tentation de s’étendre davantage, plus soucieux de s’étendre d’ailleurs que de s’accommoder en un texte bref et limpide. On voudrait en si peu d’espacearranger tout un univers sensible et intuitif aux jalons décisifs de la philosophie, à la découpe aiguisée des concepts. On voudrait glisser dedans ces références obligées, rassembler la famille, les tableaux que nous laissent quelques textes essentiels. On a les images sous les yeux et elles vous parlent autant que ce qu’elles se défaussent. Alors noter d’abord cette résistance là, cette façon d’évidence énigmatique qui vous laisse très peu apte à coudre des phrases. Il n’y a qu’une quantité d’éclats éparts qui se pressent et se tassent, un bégaiement désorganisé. Toujours un champ immense et quelques 1800 signes pour en donner idée. En si petit espace la pensée ne parvient même pas à s’envisager. Les mots buttent contre les parois, on à l’impression de comprimer une bombe. Deux jours déjà sur une demi page insatisfaisante dans laquelle il faut couper et tordre pour qu’on dise plus tard : il fait des montagnes pour quelques lignes tortueuses.