Le cadre d’abord : un lac sur lequel flottent de petites cabanes peintes de couleurs vives où s’installent pour pêcher des hommes en goguette aussi bien que des criminels en cavale. Leur lien avec la terre est une très belle femme toujours silencieuse, qui circule en barque et les ravitaille en tout, café, hameçons ou prostituées, quand elle n’offre pas elle-même son corps.
Cette femme mutique paraît d’emblée fantastique, dans son énergie farouche, sa relation cruelle avec la nature (elle sait par exemple où trouver des grenouilles, comment les dépecer, comment mater un chien), sa communion avec l’élément aquatique, qu’elle est la seule à ne pas redouter (elle se fond dans l’eau pour surgir subitement afin de se venger de qui la maltraite ou pour épier les intrus) et sa sensualité.
Survient un homme fuyant à la fois son crime et la police qui le recherche (et qui fait penser à l’orphelin malade de jalousie de Printemps, été, automne, hiver… et printemps du même réalisateur). Se noue entre eux un amour sombre et salvateur à la fois, qui les amène à des comportements mimétiques : il semble que la belle passeuse doive rejouer les crimes de son amant et passer aussi par les souffrances qu’il s’est infligées pour se punir… ce qui vaut des scènes à la limite du soutenable pour les âmes sensibles, qu’il faut lire comme des scènes de mutilation symboliques (je ne sais pas si l’un de mes lecteurs a déjà vu la confrontation finale d’Old Boy, un autre film (de vengeance) coréen, eh bien « L’île » vous demandera le même self-control). Il s’agit par ces souffrances de se blesser mais aussi de capturer l’autre, de le captiver. Les amants maudits sont aussi représentés symboliquement par une carpe qu’un pêcheur cruel mutile pour se gorger avec son amie de sashimi et rejette à l’eau : des écorchés rejetés sur les rives de la mort.
Pour contrebalancer cette cruauté, le film ménage quelques ruptures de ton, des scènes tendres (le nouveau venu séduit les jeunes femmes par les petits mannequins en fils de fer qu’il confectionne au lieu de pêcher) et d’autres drôles ou grivoises.
Mais l’étrangeté du lieu et de l’atmosphère amènent à s’interroger ; il y a plusieurs îles dans ce film : les cabanes flottantes, la barque au milieu des joncs, la femme dans une saisissante dernière image dont je ne vous dévoile pas tout. Ce lieu existe-t-il vraiment ? n’est-il pas une sorte de purgatoire et cette femme une créature de l’au-delà, comme le suggère un plan de son visage plongeant dans l’eau et la transformant en Méduse ? La dernière image, contradictoire avec la scène finale où les amants larguent les amarres, plaide pour cette interprétation symbolique. Pas de solution cependant, à chaque spectateur de construire le sens de cette fable féroce…
Merci au Dooliblog pour les places mises en jeu et plus généralement pour les informations précieuses sur le cinéma coréen.