Les enfants sont priés d’être sages ; certains adultes sont blâmés pour être trop sages : le mot aurait-il perdu son sens, à pouvoir ainsi indiquer l’enfance et l’excès ? On félicite encore celui qui prend une sage décision ; mais qui dirait sans perdre son sérieux qu’il aspire à devenir sage ?
Il y a pourtant davantage sous ce mot que le calme et la docilité, autre chose que timidité ou prudence. Alain appelle sagesse la vertu qui surmonte l’emportement de juger. Autrement dit : la force qui nous retient de croire et d’accepter trop facilement ce qui est de belle apparence ou seulement conforme à notre intérêt.
Nos peurs et nos désirs sont de puissantes inclinations à juger sans savoir. La nuit on est assez enclin à juger menaçante une silhouette indistincte. Dans les discussions où l’on se pique d’avoir raison, on ne pèse guère les raisons de l’interlocuteur ; et quand le sujet est politique, la cause est souvent entendue avant toute discussion.
Rare est l’esprit qui ne se hâtant point de croire ou de trancher sait se défier de sa propre opinion et finalement de toutes les opinions. D’ailleurs c’est peut-être cette prétention à juger au lieu d’opiner simplement qui la rend de nos jours impopulaire.
Mais puisque personne n’aime à passer pour naïf et crédule, on peut aussi penser que chacun honore secrètement cette capacité à bien juger et se souhaite toute la sagesse possible.