Anne Bihan,écrivain de Nouvelle-Calédonie, nous envoie cette correspondance sur le Salon du livre francophone du Pacifique, organisé à Nouméa. Il a fermé ses portes ce samedi 1er novembre à 12h30.
« La langue française est une langue tahitienne, la langue française est une langue kanak… » : ces paroles d’Océanie auront tour à tour réjoui, interpellé, voire choqué les participants de cette première édition.
Coordonné par l’Association des éditeurs et diffuseurs de la Nouvelle-Calédonie, ce salon rassemblait, autour de tables couvertes d’une abondante production éditoriale encore trop méconnue, des auteurs des trois collectivités françaises du Pacifique et du Vanuatu. Un village artisanal complétait cette invitation au voyage faite au visiteur.
Il s’est tenu en lien avec le premier forum francophone du Pacifique, organisé à l’initiative du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en présence de Christian Philip, conseiller personnel du Président de la République pour la francophonie. Ce forum a permis à l’ensemble des Alliances françaises du Pacifique présentes en Océanie, en Australie et Nouvelle-Zélande, de se rencontrer, ce qui n’avait jamais été le cas, et de tenir leur première assemblée plénière
Voix du Pacifique insulaire
Chantal Spitz et Marie-Claude Teissier-Landgraf de Polynésie française, familières du Caillou, étaient accompagnés d’un nouveau venu, Moetaï Brotherson, auteur d’un roman paru en 2007 aux éditions Au Vent des îles, Le roi absent. La lecture par l’auteur d’un extrait de cette histoire écrite à la première personne, celle d’un enfant muet qui pose sur le monde un regard inattendu, aura bousculé bien des représentations. On est là bien loin des îles paradisiaques, et c’est une langue libre et forte qui s’offre au lecteur.
Les Pensées insolentes et inutiles de Chantal Spitz, auteure également d’un incontournable, L’île des rêves écrasés, auront quant à elle rappelées si nécessaire combien les voix océaniennes ont dû résister à la déferlante coloniale.
Demeurant désormais en Australie, Marie-Claude Teissier-Landgraf a quant à elle délaissée un peu la Sophie de ses deux romans, Hutu Painu et Aetea roa, voyages inattendus, pour une lecture émouvante de l’article qu’elle a consacré aux très grands peintres installés au Vanuatu, Nicolaï Michoutoutckine et Aloi Pilioko. Il a paru dans le splendide ouvrage des éditions Madrépores consacré à leur 50 ans de création en Océanie, dans le prolongement d’une exceptionnelle rétrospective présentée en 2007 au centre culturel Tjibaou (Commissaire d’exposition et responsable de l’édition : Gilbert Bladinières).
Révélation de ce salon, une jeune poétesse de Wallis et Futuna, Virgine Tafilagi. Professeur d’anglais dans son île après des études en Nouvelle-Calédonie puis à Bordeaux, la jeune femme écrit dans sa langue et autotraduit en français des textes dont la langue éblouie embarque l’auditeur sur les vagues d’un océan que Virginie et les siens ont traversé bien avant que Monsieur de Lapérouse et les autres ne pointent leur nez dans les eaux du Pacifique. Un nom à retenir. Parution de son premier recueil prévu en 2009.
De la francophonie à la francophilie
Mais c’est à l’heure de débattre peut-être que ce salon sera venu rappeler l’absolue nécessité pour les diverses institutions engagées dans la promotion de la francophonie d’entendre la parole des auteurs qui portent chaque jour les mots de la langue française. S’il convient de saluer l’initiative de ce forum et du salon qui lui était associé, force est de constater en effet que les directeurs des alliances du Pacifique et les diplomates réunis à cette occasion auront bien peu fréquentés les écrivains. Au fil des débats engagés par ceux-ci, c’est pourtant toute l’urgence d’un indispensable questionnement qui s’est faite jour.
Vivre sa culture ; écrire dans sa langue ; être lu dans sa langue : ces trois thèmes ont suscité bien des mises au point dont la grande gagnante est peut-être cette « francophilie » que le philosophe Hamid Mokkadem a dans sa conférence préféré à la francophonie. L’une d’elle a quelque peu tordu le coup à l’idée d’un lien indéfectible entre langue et culture, en démontrant quasiment « par les œuvres » combien les auteurs d’Océanie écrivant en langue française parviennent à user, et avec quel talent, de cette dernière non pour lui faire rendre gorge, mais pour qu’elle leur rende dans sa chair même cette âme inédite qui est la leur et demeure notre richesse à tous.
Dans le même temps, ces rencontres ont interrogé la proximité entre le français et les langues océaniennes. Elles ont été l’occasion de rappeler la responsabilité qui est celle de tous les acteurs en présence, politiques, chercheurs, linguistes, éditeurs, auteurs et lecteurs mêmes en matière de défense et de promotion de ces langues. « Quel statut donnons-nous nous même à notre propre langue ? » questionnait Chantal Spitz. La lumière a semblé venir notamment de la littérature jeunesse, de plus en plus abondante en Océanie. Et d’acteurs du livre bien décidé à ne pas céder aux seules sirènes de l’économie pour continuer à promouvoir au minimum un bilinguisme des livres envers lequel les lecteurs sont finalement mieux disposés que ne l’imaginent parfois les professionnels.
Et c’est ainsi que la langue française est une langue tahitienne, kanak, africaine… tandis que les langues tahitienne, kanak, africaine sont elles des trésors indispensables à cette francophonie de la diversité culturelle qui est à bâtir.
Anne Bihan
Quelques liens :
Site du Salon du livre francophone
http://salondulivrefrancophone.blogspot.com/
Éditions Madrépores
http://www.madrepores.blogspot.com/
Site de Nicolaï Michoutouchkine et Aloï Pilioko
http://michoutouchkine.blogspot.com/
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