Le discours de Nicolas Sarkozy ce jeudi 30 octobre à Rethel, sympathique bourgade ardennaise célèbre pour son boudin blanc, est inquiétant à plus d'un titre. Et pas uniquement à cause des inepties économiques dont il était truffé (le discours, pas le boudin blanc !).
Passons vite sur l'affliction causée par l'annonce de la création de tombereaux d'emplois aidés, à juste titre dénoncés par l'excellent économiste, quoique trop méconnu, Rémy Prudhomme, dans les colonnes du "cri du contribuable". Venons en aux banques.
Le président a tout d'abord annoncé qu' un nouveau "fond souverain" serait chargé de s'introduire au capital d'entreprises "stratégiques" ou "à fort potentiel de développement", selon des critères définis par des bureaucrates zélés. C'est absurde: pourquoi ne pas laisser les français choisir eux même les entreprises qui leur inspirent confiance, plutôt que de siphonner l'épargne des français pour la confier à des hauts fonctionnaires dont la connaissance de l'entreprise est en général assez déficiente, et qui prélèveront d'inévitable coûts de structure, généralement exorbitants lorsqu'il s'agit de structures publiques ? Les gens qui dépensent leur argent pour eux mêmes sont en général de meilleurs utilisateurs des ressources que ceux qui jouent avec l'argent d'autrui pour le compte d'autrui...
Mais il y a pire: Après avoir monté de toute urgence un plan de sauvetage bancaire que les banques semblent devoir obligatoirement accepter, y compris si elles n'en ont pas besoin, ce qui en fait ni plus ni moins qu'un impôt déguisé, Nicolas Sarkozy a demandé aux préfets et aux trésoriers payeurs généraux, au prétexte que l'état "prête" de l'argent aux banques, forcées ou non, de s'ingérer dans les affaires des agences locales pour "vérifier que l'argent prêté par l'état est bien prêté aux PME".
Encore plus grave, il a demandé à un expert comptable, René Ricol, nommé "médiateur du crédit" -- encore une fonction totalement inutile dans une économie libre, où entreprises et banquiers négocient directement --, de lancer des campagnes publiques de dénigrement des banquiers qui ne prêteraient pas "suffisamment". On s'attendrait à ce genre de propos chez les exaltés de Greenpeace, mais dans la bouche du président ?
Enfin, il n'a pas hésité, selon l'AFP, à envisager une "nationalisation partielle" des banques si elles ne jouaient pas le jeu. Selon "le monde" (passages mis en gras par moi):
Le tribunal populaire n'est plus très loin : Nicolas Sarkozy a invité le nouveau "médiateur du crédit", René Ricol, à rendre public dans les médias, y compris à la télévision, " les exemples de restriction inacceptables de crédit" par les banques "dans chaque département". "On comparera alors qui fait son travail et qui ne le fait pas", a averti le chef de l'Etat.
Au sein du gouvernement, on prépare déjà l'étape suivante : celle d'une nationalisation partielle des grandes banques. "Le président a été très clair : si les banques ne jouent pas le jeu, il utilisera l'arme atomique", confie un proche conseiller.
Naturellement, la notion de "prêts suffisants", ou de "restriction inacceptable du crédit", sera laissée à l'appréciation arbitraire d'un sous directeur de préfecture, un sous énarque de bas de classement dont les compétences en matière de gestion financière des entreprises et des banques seront certainement incontestables, sauf à vouloir chercher des ennuis. La nomenklatura énarchique va pouvoir faire abus d'autorité. L'état est de retour, qu'on se le dise, et le haut fonctionnaire longtemps discrédité et humilié va enfin pouvoir prendre sa revanche. Et le sale banquier (En 1933, on aurait ajouté : "juif" - Mais je fais du mauvais esprit, là...) qui n'exécuterait pas les oukases du rond-de-cuir haut gradé pourrait faire l'objet d'une dénonciation publique par un dépositaire de l'autorité exécutive ! A quand le gouvernement délocalisé à Vichy ? Des comités de salut public ? Après le Grenelle de l'environnement, le Drancy de la banque ?
J'ignore si les préfets prendront l'injonction Sarkozienne au sérieux, ou si, traditionnelle inefficacité bureaucratique oblige, ils s'assiéront dessus tout en faisant semblant de s'y conformer: tout espoir n'est pas perdu, on peut toujours compter sur l'inefficacité des pétaudières préfectorales pour faire échouer les mauvais desseins les mieux ourdis.
Mais l'ensemble des mouvements qui se dessinent ne laisse pas d'inquiéter. D'une part parce que, comme je le disais jeudi dernier, cela revient à forcer les banques à octroyer de mauvais crédits, et donc à recréer en France un mécanisme de même nature que celui qui a entrainé la crise des subprimes. Mais il y a encore plus grave que l'économie.
C'est une attaque sans précédent contre la liberté d'entreprendre qui se déroule sous nos yeux. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une tentative de profiter de la crise pour opérer une mainmise de l'état sur un secteur clé de la vie des entreprises, les banques, et pour mettre en place les instances d'une économie dirigée par notre clique de hauts fonctionnaires qui pourra enfin donner libre cours à ses penchants planificateurs. Jamais l'encadrement des libertés économiques n'avait été aussi clairement affiché depuis mai 81. L'inénarrable Hugo Chavez a raison: la "refondation du capitalisme" voulue par le chef de l'état est un authentique socialisme, qui se promet d'être dur contre les déviants.
Nos énarques et autres grands corpsards doivent jubiler. Pour ces gens là, les français sont trop cons pour trouver eux mêmes les voies qui les sortiront de la crise. Hors d'un exécutif omniprésent, soutenu par une élite bureaucratique toujours soucieuse de profiter de chaque évènement favorable pour augmenter sa sphère de prédation, point de salut !
La propension des dirigeants français à nous prendre pour des veaux qu'il faut gouverner d'une main ferme est une constante de notre histoire. L'actuel locataire de l'Elysée s'inscrit dans cette déplorable tradition. Lui aussi, estime qu'il doit nous montrer "la" voie.
Pourvu que ce ne soit pas la route de la servitude.
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