Ca s’est passé comme ça. L’autre soir, soirée binouze au pub irlandais du coin avec quelques potes boxeurs qui s’entraînent avec moi, et quelques filles jeunes et belles. Mais connes. Douzième pinte de guiness, l’or noir Irlandais, la conversation dérape, j’essaye de me rappeler sur quoi, pas moyen. Et la cette jolie brune qui me regarde en cherchant mon approbation, qu’elle attend toujours : « on est tous citoyens du monde, non ? »
Les citoyens du monde ça n’existe pas, bordel ! Que les choses soient claires, une fois pour toutes ! Pas plus qu’un changement avec Obama ou qu’une pensée un peu complexe dans la tête de Sarah Palin. Comme si le monde était une réunion de citoyens, c'est-à-dire une entité politique ce qu’il n’est pas, à l’évidence.
Cette idée de citoyenneté planétaire, très répandue dans le camp progressiste est éminemment intéressante car elle illustre cette idéologie du Même, si bien théorisée par Julien Freund ou Anna Arendt. L’idéologie du Même, c’est le vieux rêve d’unification du monde, d’homogénéisation des peuples et des hommes, d’abolition des frontières, des différences, des couleurs de peau, des disparités, des inégalités, jugées arbitraires et insupportables. Un monde indifférencié.
C’est la doctrine chrétienne universaliste, sécularisée par nos modernes, et dont on peut suivre la trace : 1789, l’abolition des corps intermédiaires et des privilèges, un état nation qui ne reconnaît plus que des citoyens égaux devant la loi, la colonisation (émanciper des peuples « retardataires » pour en faire nos égaux), les doctrines égalitaristes totalitaires (un peuple communiant dans le culte du chef), enfin l’unification de tous et de tout par le marché globalisé.
Mais, paradoxalement, cette idéologie du Même ou du Un (un homme devant Dieu, un citoyen devant l’Etat), cet univers (à l’inverse du plurivers décrit par Carl Schmidt), qui est indissociable de l’individualisme libéral, produit la division en valorisant l’individu –atome- versus l’humanité, détruisant tous les corps intermédiaires et tous les formes de socialisation et d’enracinement des hommes (famille, armée, école, églises, corporations, syndicats, etc.). L’effondrement de ces structures communautaires produisant –en retour- la montée de l’état providence obligé de pallier les anciennes formes de solidarité mises à bas par l’individu roi, mais seul et désarmé.
Mais cette idéologie pseudo fraternelle a un revers, une dimension totalitaire car elle ne peut qu’exiger radicalement l’exclusion de tout ce qui ne peut pas être réduit au Même. L’altérité inexpiable devient l’ennemi prioritaire (les Vendéens des révolutionnaires, les blancs pour les rouges, les bourgeois oppresseurs pour le prolétariat opprimé, le non musulman pour le musulman, etc.). Il y a donc des hommes qui sont exclus de ce cercle vertueux d’égaux. Il en est de même pour les idées ; si tous les hommes se valent, toutes les idées se valent également en théorie, ressort du relativisme ambiant. Or chacun sait que toutes les idées n’ont pas droit de cité dans nos contrées progressistes : toutes les idées non réductibles au même sont impitoyablement combattues au nom du Bien et de la Vertu versus l’hydre nationaliste, fasciste ou populiste, sans cesse renaissante (et qui évoque les heures sombres de notre histoire...). Toutes les idées ne se valent donc pas. Et c’est heureux.
Il y a une contradiction aussi entre cette idéologie du Même et cette amour de la diversité et du droit des peuples a disposer d’eux-mêmes que célèbrent en tous lieux nos élites…Car manifestement la diversité si célébrée par nos modernes ne doit pas sortir de certaines limites précises : la différence est respectée si ces peuples utilisent ce droit dans le sens de cet idéal unificateur ; imaginons une communauté primitive fondée sur l’homogénéité ethnique et ou raciale et confrontée au jugement de nos modernes...facile d’imaginer leur réaction ! Or ce type de communauté ou de doctrine réalise précisément en petit ce que l’idéologie du même réalise en grand : ethnocentrisme et universalisme qui se retrouvent dans la même allergie à l’Autre.
Contradiction également avec ce culte ahurissant -cette propagande devrais-je dire- du métissage célébré par notre cléricature moderne et mondialisée : comment peut-on à la fois célébrer le métissage et l’amour de la diversité qui en est la négation ? Comment peut-on matraquer à ce point les hommes et les peuples (européens en particulier) pour les amener au métissage (des êtres et des cultures) tout en prônant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Inukshuk, qu'est-ce que je viens de dire? Tu suis pas, merde!
Au fond, c’est la hantise de l’incompréhension et de l’affrontement qui sous tendent cette idéologie du Même. Sous entendu, si les hommes se ressemblent tous, ils se comprendront mieux et la paix régnera…Amen.
A cette bouillie idéologique irénique et totalitaire, on peut opposer la réflexion de rené Girard sur la violence de la rivalité mimétique, constante dans toutes les sociétés humaines et le fait que les hommes craignent plus le même que la différence, car le même est polémogène en soi. Alors que la diversité est fondamentale dans la construction d’une identité (soi versus l’autre). Ceux qui conçoivent l’identité comme un enfermement ont tort, car c’est le Même qui enferme le plus sûrement et qui conduit à la plus grande violence, contrairement au rêve rose de nos modernes.
Pour Alain de Benoist, cette culture du Même, cette idéologie globalitaire, qui se confond avec la modernité, se résume en occident à l’éradication des modes de vie différenciés et ailleurs par l’imposition du modèle de développement productiviste/ consumériste occidental. L’imposition d’un horizon économique unique (monothéisme du marché) et moral indiscutable (droits de l’homme).
Tout ça pour une réflexion anodine, bordel. Que les âmes sensibles se rassurent, la jolie brune écervelée est sortie contre mon épaule car ivre morte, comme il se doit.