Le crû 2008 est arrivé dans toutes les bonnes librairies bretonnes (qui le distribuent à leurs clients) depuis quelques semaines et fut distribué gracieusement lors du dernier
Tout d'abord, la lecture m'a un peu déçue: pourtant le sujet à traiter "le livre brisé" était intéressant. Les premières nouvelles me semblaient vraiment convenues, les chutes étaient attendues, le rythme difficile à intégrer. Bref, la déception semblait de mise de la première à la dernière page, lorsque, soudain, un titre splendide se présenta "Le balcon spectral ou Jeune femme lisant" de Marc Nagels! Vous me direz que les titres alléchants cachent parfois de terribles déconvenues mais ce ne fut pas le cas ici....loin de là!!! D'emblée, la nouvelle plonge le lecteur dans l'univers du fantastique où la poésie n'a pas été oubliée. Le balcon est enchanteur, merveilleux, transpirant à l'envi de mystère et de descriptions d'une intense poésie. Il y a du Nerval caché entre les lignes, derrière les images et les mots. "Les pierres avalent de l'air. Les vents heurtent longtemps les hautes tours. Les pierres s'enivrent de vents et parfois se descellent. Dans le ventre spiralé du donjon, les parois suintent d'une liqueur de vents anciens.(...) Le donjon digère le temps. Les marches luisent comme un corps moite que traverse une vie souple. Elle retire ses souliers et écoute le baiser de ses pieds nus sur la pierre molle." (p 57)
"De moi, elle a appris à lire les livres, à les ouvrir délicatement en faisant glisser ses doigts de la couverture vers la profondeur douce des feuillets, puis à les suspendre au-dessus de ses yeux. Le livre ainsi déployé dans la largesse molle de ses pages conduit mieux les pulsations de l'émotion, le moindre tressaillement de la lecture; le clignement des yeux s'imprime dans la souplesse rythmée d'une matière graphique qui libère la toatlité de ses charmes. Tout objet réclame cette menue relation qui favorise le dynamisme incantatoiredu support et permet à l'esprit de verrouiller un contexte incohérent pour mieux saisir le sens dans ses plus faibles ouvertures. J'aime voir ses mains fuir la rigidité des reliures pour maintenir le livre par les pages, et voir son front prendre le tain capricieux des ciels et des cavales nuageuses." (p 62)
Une ode à la lecture des oeuvres anciennes mais aussi à venir, un chant presque désespéré de voir l'acte de lire et la sensualité des gestes du lecteur réduits à n'exister que dans un ultime vieux donjon, dernier refuge d'un imaginaire balayé par les vents du matériel et du concret. Le lecteur se perd avec délice dans la spirale des escaliers et des livres, ravi d'entendre souffler la tempête extérieure qui attise le plaisir de se retrouver en compagnie de vaisseaux prêts à commencer le voyage offert par les multitudes d'histoires. Cependant, l'écrin sombre de la bibliothèque apporte son lot d'incertitudes et de détresses....le thème ne peut souffler un éternel optimisme. Lentement, telle une Belle au Bois Dormant, la lecture s'endort....se réveillera-t-elle un jour? Le temps ne se laisse jamais compter ni dompter aussi tout espoir n'est-il jamais perdu et un jour viendra, où le baiser des pieds nus sur la pierre sombre et vivante de l'escalier menant à la bibliothèque, à l'imaginaire nourrissant et essentiel, sortira des limbes du sommeil une lecture ravivée.
Les nouvelles du recueil sont donc une variation sur le thème du "Livre brisé" et abordent la cassure avec plus ou moins de réussite. J'ai aimé le côté ironique de la dernière "Jakez Le Glas" de Philippe Dazy qui m'a rappelé une nouvelle du dernier recueil de Georges Flipo "Qui comme Ulysse": un auteur se voit passer une commande par une maison d'édition souhaitant éditer un recueil dont le sujet serait les personnages bretons célèbres. Ni une ni deux, voilà notre auteur parti collationner de bonnes histoires; et où peut-on être certain de trouver de belles figures emblématiques dignes d'être célèbres? Dans un typique café du port, pardi! L'auteur tombe sur Jakez Le Glas aux voyages autour du globe sur le bleu-vert des flots... Le conte dissimule parfois de décevantes contre-vérités, brisant le livre entre déception, rire et amertume.
Un recueil agréable, malgré quelques déceptions, et doté d'une diversité d'écriture intéressante jouant sur la gamme étendue des genres littéraires: chacun peut y trouver de quoi méditer, s'interroger et s'approprier l'espoir que derrière la brisure livresque transparaît l'essentiel besoin d'imaginaire.