The Green Lantern °Traduction : Marc Chénetier
On dit que, lorsque Staline mourut, le peuple de Moscou, au lieu de se réjouir, défila en pleurs devant son cercueil. "Qui, maintenant, va s'occuper de nous ?" entendait-on dans la foule. Etait-ce un regret sincère ou bien une simple manifestation de l'adage : "Nous savons ce que nous perdions et ne sommes pas sûrs de ne pas retrouver pire - si tant est que ce soit possible ..." ? Toujours est-il que, à l'instar de son ex-allié, puis ennemi, Hitler, Staline a fasciné jusqu'à ceux-là mêmes qu'il détruisait.
"La Lanterne Verte" est un peu le roman de cette fascination.
Mais "La Lanterne Verte", c'est aussi la fameuse lampe qui, selon les rumeurs, brûlait sans cesse au Kremlin, dans le bureau de Staline, pour rappeler à ses sujets qu'il était là, encore et toujours, à veiller sur eux - et à comploter contre eux.
Et "La Lanterne Verte", c'est enfin le pastiche d'un roman héroïque, rédigé par Vladimir Roustaveli, protégé de Gorki et tchékiste à la solde de la Grande Maison et de Staline jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus, de mentir, d'emprisonner et de torturer et que, à son tour, il devienne l'homme à abattre - ou à exiler à la Kolyma.
Roustaveli "le Matou" n'est pourtant pas le personnage central de ce roman où les personnages sortis de l'imagination de l'auteur croisent sans cesse leur destin avec celui de personnages historiques tels que Iagoda, Beria, Ejov, Gorki, Isaac Babel (l'un des auteurs préférés de Jerome Charyn d'ailleurs).
Bien plus que l'oppression glauque et terrible d'un roman comme "L'Evangile du Bourreau", "La Lanterne Verte" évoque, sans pourtant toucher au fantastique, la légèreté diabolique, le brio à la fois ironique et désespéré du "Maître et Marguerite." Personnages et intrigue tourbillonnent allègrement, de la minable Allée des Etrangleurs où Staline pleure en voyant Ivan Azerbaïdjan jouer "Le Roi Lear" de Shakespeare, jusqu'au grandiose Hall Maïakovski où, pendant la "Grande guerre patriotique", le dictateur va exiger de ces comédiens qu'il a rappelés du bagne de remonter le moral des troupes soviétiques.
Charyn utilise les amours contrariées d'Ivan, son personnage le plus pur, le moins atteint par la lâcheté et la terreur qui sévissaient en URSS sous Staline, pour faire revivre une pléïade d'hommes et de femmes qui, à un niveau ou à un autre, influèrent sur le destin du pays. Et ce n'est pas pour rien qu'il a placé l'ouverture de son roman sous le patronage de Shakespeare car tous, de Staline à Molotov, ne sont, au plus profond d'eux-mêmes, que les pantins d'une destinée plus grande, plus cruelle et plus imprévisible encore. Qui tire vraiment les ficelles, est-ce vraiment utile de chercher à le savoir ? Mieux vaut se laisser porter par l'ambiance tour à tour flamboyante et glacée de ce roman qui ne prétend pas à la leçon d'Histoire mais qui, malgré tout, cherche une explication. ;o)