Par RV
La lutte des classes est-elle finie ? A-t-elle jamais existé ? Comment se positionner dans cette lutte si l’on n’est ni prolétaire, ni possédant ? Si ces interrogations ont l’air de sortir d’un meeting du PC ou de LO des années 70-80, tant pis ou tant mieux : je me les pose, chaque jour avec un peu plus d’insistance, et lorsque les petits boutons d’acné de ma pensée sont près d’éclater, je blogue.
La lutte des classe n’est pas terminée. J’en suis convaincu jusqu’à la moelle des os les plus planqués dans les recoins de mon squelette. Donc forcément, cela répond à la deuxième question, elle a toujours existé. Et ceux qui prétendent le contraire ne le font que par intérêt.
Prenons un quidam quelconque, genre classe moyenne, petite bourgeoisie intellectuelle de Province (quasi un autoportrait !). Il vous affirme que la lutte des classes est dépassée, quelle n’existe plus. Pourquoi ? Parce qu’il est persuadé, ou veut se persuader, que la société qui l’abrite et le nourrit peut lui donner plus, sans qu’il se fatigue à sortir ses pancartes en manif ou son droit de grève. Ou encore que sa position intermédiaire ne fait pas de lui un exploiteur, et donc que si la lutte des classes n’existe pas, en aucun cas on ne pourra lui reprocher l’état social de son pays.
Sérieusement, dans le blanc des yeux, affirmez-moi que les intérêts des patrons ne vont pas sans exploitation de la main d’oeuvre, ici ou ailleurs? Que le moindre artisan, aussi sympathique et débonnaire puisse-t-il être, n’exploite pas son stagiaire gratuit venu de BEP (tout en râlant qu’il est un vrai branleur, ce qui parfois est vrai, mais qu’importe !) Que les traders et autres banquiers n’exploitent pas la crédulité de millions d’actionnaires persuadés eux aussi que la lutte des classes n’existe pas et que donc ils ne font pas partie de la catégorie “bétail à tondre ?”.
Le capitalisme installe naturellement, évidemment, automatiquement une lutte des classes. Par le simple mécanisme de la concurrence, et de la libre-entreprise. Tirer son épingle du jeu capitaliste revient à exploiter quelqu’un, ou quelques uns, ou des centaines, des milliers, des millions de “uns”
Aujourd’hui, malgré la poudre aux yeux quotidienne, les matchs où l’on siffle la Marseillaise, la poupée à épingles, le dernier disque de Carla Sarkozy, la machine libérale avance. Elle vient de prendre un coup qui aurait été mortel pour tout autre idéologie, mais là, avec une morgue et une ironie glaçantes, elle se relève en mutualisant les pertes. Pragmatisme, nous sortent-ils comme une litanie, le premier d’entre eux en tête, pragmatisme. La MGEN, dont je suis un élu départemental, redistribue 98 % des cotisations de ses membres en remboursements, contre 50 % en moyenne pour les autres mutuelles. Ne possédant aucun bien en dehors de ses locaux, notre mutuelle va devoir quand même payer une taxe spéciale “Connerie insondable et criminelle des tenants du libéralisme” d’une centaine de millions d’€uros, au même titre que les mutuelles qui se gorgent de profits immobiliers et boursiers depuis des lustres. Evidemment, la cotisation des assurés va augmenter. Mutualisation des pertes, vous dis-je.
Si l’opinion publique n’a pas ou plutôt ne veut pas, par confort intellectuel, manque de dynamisme ou trop grand abattement socio-culturel (toutes raisons que je comprends, sans les sanctuariser, mais que je comprends) réagir par des protestations massives, bref par un rapport de force inversé au profit des dominés, le rôle des intellectuels (oui, des intellectuels, des gens qui ont la chance d’avoir le temps de réfléchir parce que leur boulot leur laisse le temps ou les pousse à utiliser leur cerveau comme principal moteur de leur vie, j’en fais partie et j’en suis désormais fier) est de rester vigilant, de réfléchir et de proposer des actions, des réflexions, des débats. La société est poreuse ; ce qui peut un jour apparaître comme une idée de tout petit cénacle aura possiblement un destin plus large.
Souvent, poster un billet politique me laissait l’impression que je ne parlais qu’aux convaincus, aux habitués, aux amis, bref que ça n’allait pas assez loin. Mais si, ça va loin. D’abord, avoir des amis qui partagent vos vues, c’est déjà très bien. Réfléchir, résister, tenter avec ses moyens et -pourquoi pas ?- ses talents de faire avancer des idées politiques qu’on croit justes et honnêtes, ça va loin. Bien plus que je n’aurais pu aller si ce blog n’existait pas.
RV