Ames sensibles, s'abstenir ;-)
J’avais accepté cette mission en intérim pour le weekend de la Toussaint. Quelques heures rémunérées en férié pour mettre du beurre dans mes épinards, et surtout m’aider à payer cette télé qui me faisait envie depuis quelque temps. Mon homme n’avait pas été ravi de me voir rajouter un weekend de travail à mes journées déjà bien occupées, mais il n’avait qu’à pas fantasmer sur les infirmières. Je faisais quelques extras pendant ma dernière année d’étude avant de commencer à vraiment travailler… et lui aussi avait envie de regarder ses matchs sur grand écran.
Le centre de cure était situé en montagne à près d’une heure de route et pour m’éviter un retour le samedi soir (et un retour aux aurores le dimanche matin) sur des routes de montagnes rendues peu praticables par des conditions météo hivernales, une chambre sur place m’avait été proposée pour la nuit. Je ne rentrerai pas du weekend mais dormir sur place était vraiment la meilleure solution.
La chambre se situait au dernier étage dans une aile désaffectée du bâtiment, une ancienne chambre de malade, toute simple, avec un petit lit au cadre métallique, une table, une chaise et un lavabo, les douches étant situées à l’étage. Je posais mes affaires. Il n’y avait pas de télévision ni de téléphone mais je n’en avais pas besoin pour les quelques heures que j’y passerais et j’avais mon portable pour appeler mon homme. La vue de ma fenêtre était magnifique et donnait sur les montagnes et les forêts alentour, la neige toute fraiche ayant recouvert les arbres d’un fin manteau. Je me réjouissais de ne pas avoir à faire la route cette nuit à la fin de mon poste et descendais faire connaissance avec mes collègues pour le weekend et commencer mon travail ;
La journée se passa dans une ambiance très sympathique et nous laissions l’équipe de nuit prendre le relais. Les autres habitaient toutes à proximité et rentraient chez elles, j’allais seule dans ma petite chambre. La lumière ne fonctionnait pas, et c’est à la lumière de mon téléphone portable que je me guidais dans les couloirs sombres et déserts pour gagner ma chambre. C’est étrange comme les bâtiments peuvent changer d’aspect à la nuit en devenant menaçants, c’est étrange comme on prend conscience de tout un tas de petits bruits auxquels on ne prêtait pas attention de jour. Je faisais claquer mes chaussures pour faire du bruit mais je n’en menais pas large. Un bruit de porte qui claque me fit courir sur les deux derniers étages pour arriver le cœur battant et complètement essoufflée à la porte de ma chambre dans laquelle je m’enfermais à double tour. Quelle idiote j’étais tout de même, il y a avait un gardien qui devait faire sa ronde, les portes fermaient à clé, j’étais à l’abri.
Je prenais néanmoins mon téléphone pour appeler mon homme, un peu pour lui souhaiter une bonne nuit, beaucoup pour entendre son rire et sa voix si rassurante. Mais il n’y avait pas assez de réseau semblait-il. Je pestais, j’aurais tellement eu envie de l’entendre et j’avais peur qu’il ne s’inquiète mais je n’osais pas envisager une nouvelle traversée du bâtiment pour aller téléphoner du service. Courageuse mais pas téméraire. Il était d’ailleurs hors de question que je ressorte pour prendre une douche, ce serait petite toilette au lavabo. La lune était pleine et éclairait les environs d’un halo blanchâtre. Je trouvais le paysage beaucoup moins sympathique qu’à mon arrivée ce matin. Je branchais mon radioréveil (j’ai toujours beaucoup de mal à me réveiller au petit matin) et je me préparais pour la nuit, faisant mon lit puis ma toilette pour lire un peu avant de m’endormir. J’entendais le bruit du vent qui soufflait dehors et des bruits de craquements qui venaient de l’intérieur. L’inconvénient des vieux bâtiments. Cette aile était autrefois le pavillon psychiatrique, des malades lourds et l’on m’avait expliqué qu’il n’était donc pas possible pour moi d’ouvrir la fenêtre qui était munie de barreaux et avait été bloquée pour éviter les tentatives de défénestration… Je savais cependant qu’il restait pas mal d’autres possibilités de mettre fin à ses jours pour qui le voulait et il circulait pas mal d’histoires lors de nos soirées infirmières. Des histoires macabres pour lesquelles ce n’étais pas le lieu ni le moment, j’étais déjà bien assez effrayée seule dans ma chambre. Je retentais d’appeler mon homme mais le réseau restait inaccessible, il était désormais 22:06 et je décidais d’éteindre pour dormir. Mais c’est plus facile à dire alors que la chambre résonne de bruits rendus encore plus menaçants par l’obscurité. Je remontais la couverture au dessus de mon visage pour moins entendre mais je ne voulais pas trop non plus me couper de mon environnement pour entendre si quelqu’un voulait essayer d’entrer.
Mon Dieu !
J’étais seule dans cette aile, à la merci de l’irruption d’un malade ou d’un violeur. Dire qu’il était un temps où j’adorais les films d’horreur, là j’aurais tout donné pour jouer dans la petite maison dans la prairie. Je respirais amplement pour essayer de me calmer et j’y arrivais presque quand je sentis mon lit qui se mettait à bouger et à trembler. Comme si quelqu’un le secouait en le tenant. Le vent s’était arrêté et le bâtiment résonnait de bruits de claquements, grincements et semblait lui aussi trembler. Les chiffres rouges de mon radioréveil affichaient désormais 00:00 en clignotant, ma dernière heure était arrivée. Je ne pouvais m’empêcher de crier même si personne ne pouvait m’entendre, même si les forces qui s’étaient emparées de mon lit n’en avaient cure. Je hurlais… et tout s’arrêta brutalement. Plus rien. Ne restaient que les chiffres clignotants de mon radio réveil et mes affaires de toilette qui étaient tombées de la tablette au-dessus du lavabo.
J’avais le cœur qui battait à toute vitesse et la chair de poule, l’impression que mes jambes étaient en coton et une peur bleue. J’avais mal au ventre et envie d’aller aux toilettes comme si j’avais mangé quelque chose qui ne passait pas. J’étais morte de peur. Ce bâtiment était hanté, je ne pouvais pas y rester. J’allumais la lumière et me rhabillais non sans avoir regardé partout dans la chambre si quelqu’un ne s’y cachait pas. J’entassais mes affaires dans mon sac sans chercher à les ranger, reprenait mon téléphone, toujours obstinément hors réseau et décidais de rentrer. Tout plutôt que rester seule ici. Même s’il me fallait repasser par les couloirs.
Je mettais mon téléphone devant moi pour qu’il me serve de lampe de poche et courait dans les escaliers, il me sembla entendre quelque chose derrière moi, comme un bruit de pas et de râles, mais je ne me retournais surtout pas et courais jusqu’à ma voiture où je m’enfermais et démarrai. Tant pis pour la neige. Tant pis pour tout, il fallait que je m’enfuies.
Je roulais vite au départ mais je ralentissais à mesure que le rythme de mon cœur se calmait, et j’allumais la radio pour tenter de couper à la sensation d’horreur qui me tenaillait. Pas de musique mais des informations qui faisaient état d’un tremblement de terre magnitude 4 sur l’échelle de Richter qui venait de se produire. Il n’y avait pas de gros dégâts mais que les pompiers étaient submergés par les appels. Un tremblement de terre…
Le lendemain matin, quand je revenais reprendre mon service après m’être complètement ridiculisée auprès de l’homme de ma vie et avoir passé une nuit passablement courte, je racontais cette histoire à mes collègues. Elles ne rirent pas autant que je le pensais, mais me demandèrent le numéro de la chambre où je devais passer la nuit. La chambre n°35.
Elles me racontèrent qu’elles étaient étonnées qu’on m’y ait fait dormir puisque c’était la chambre surnommée la chambre maudite. Celle dans laquelle avait eu lieu le dernier suicide avant que le service ne ferme. C’était l’année dernière à la Toussaint.