- Mardi 28 octobre 2008 - Anglomanie,
partie 1 : Dans la
seconde moitié du XVIIIe siècle et dans les premières années du XIXe.
Après l'anglomanie de certains incroyables, merveilleuses et de la jeunesse dorée du début du XIXe siècle, suit le fashionable. Si on trouve ce terme surtout dans
des textes publiés entre 1820 et 1863
pour désigner une personne à
la mode en général et celle qui s’inspire de l'anglaise en particulier, le véritable
fashionable est de 1814-18. A cette époque, la présence des alliés à Paris amène de nouvelles modes étrangères dans la capitale comme les habits anglais, les pantalons polonais, les bottines turques ...
On lit dans un récapitulatif des modes françaises datant de 1858 que « Pour mériter le titre de fashionable, il fallait ajouter, en 1818, une cravate soutenue par des baleines, un
chapeau de paille noir, des gants blancs, une
rose à la boutonnière, et avoir les cheveux parfumés d'huile philicome ou d'huile de Macassar. Les femmes, par une fâcheuse anglomanie, plaçaient le matin, s
ur leurs chapeaux de paille, des carrés de gaze verte en guise de voile ; elles portaient des spencers, de lourds manteaux d'homme à deux collets, en casimir vert. » On
emploie ‘moderne’ dans le même sens que fashionable. Honoré de Balzac (1799-1850) utilise beaucoup les mots de 'fashion' et de 'fashionable' dans certains de ses textes. On retrouve ce second
terme dès le début de son Traité de la vie élégante dans la traduction d’une citation de Virgile : " Mens agitat molem. [L’esprit meut la matière] VIRGILE.
(Inconnus causant dans un salon.) L’esprit d’un homme se devine à la manière dont il porte sa canne. Traduction fashionable. " Le terme de 'fashion' désigne en anglais la mode. Au
XIXe siècle, la tendance anglaise étant très chic à Paris, être fashion signifie être à l’avant-garde. Il y a la haute et la basse fashion, c'est-à-dire la mode de la high-life, des aristocrates
et grands bourgeois, et celle des élégants au portefeuille plus modeste. Dans Les Français peints par eux-mêmes (tomes édités entre 1840 et 1842), M. Tissot (1768-1854) écrit :
" à côté de cette jeunesse que nous appelons la jeunesse politique, nous voyons une certain nombre de jeunes fashionables avides de tous les genres de jouissances, épuisant jusqu’à la lie la
coupe des plaisirs, abandonnés à tous les excès, et courant à leur ruine avec une sorte de délire qui rappelle des temps et des moeurs que l’on croyait à jamais oubliés."
Photographies : provenant d'une lithographie originale de Paul
Gavarni (1804-1866), pouvant être datée entre 1830 et 1843, représentant des « petits fashionables » en situation. Paul Gavarni, se fait une spécialité de la représentation de jeunes
parisiens à la mode sous Louis-Philippe et le Second Empire. Il est particulièrement connu pour ses illustrations du Carnaval de Paris. Je vous ferai goûter de ce sujet dans un prochain article.
Ici les jeunes fashionables femmes et hommes sont dessinés dans leur vie quotidienne : en promenade, peignant, se saluant, priant, conversant, affrontant le vent ...
À la suite du fashionable succède le dandy sous la Restauration (1814-1830). On peut le situer entre 1818 et 1830 avant les lions et les gants
jaunes sous Louis-Philippe (qui règne de 1830 à 1848). Tous sont particulièrement élégants dans un style inspiré d'outre-Manche. Le terme d’origine anglaise est utilisé en France même par la
suite, et encore aujourd'hui, pour une personne aux manières et à la tenue particulièrement raffinées. Honoré de Balzac, Jules Amédée Barbey d’Aurevilly, Charles Baudelaire, écrivent sur le
dandysme. Citons un passage d’Honoré de Balzac
(1799-1850) de Les Français peints par
eux-mêmes; encyclopédie morale du dix-neuvième siècle, où il décrit un dandy dans le vocabulaire ‘chic’ de l’époque : " Cette variété de l’espèce nous a donné le directeur dandy,
administrateur en gants jaunes et en bottes vernies, apportant au théâtre les façons exquises et les susceptibilités de la haute fashion financière. Lors de son avènement au pouvoir dictatorial,
le lion fut accueilli dans son théâtre avec le cérémonial usité. " Dans son Traité de la vie élégante, Honoré de Balzac
(1799-1850) oppose le dandysme à la vie élégante : " Le Dandysme est une
hérésie de la vie élégante. En effet, le dandysme est une affectation de la mode. En se faisant dandy, un homme devient un meuble de boudoir, un mannequin extrêmement ingénieux, qui peut se poser
sur un cheval ou sur un canapé, qui mord ou tète habilement le bout d’une canne, mais un être pensant … jamais ! L’homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante
n’exclut ni la pensée ni la science : elle les consacre. Elle ne doit pas apprendre seulement à jouir du temps, mais à l’employer dans un ordre d’idées extrêmement élevé … " Dans Le
Peintre de la Vie Moderne, Charles Baudelaire (1821-1867) occupe un chapitre au dandysme : " L'homme riche, oisif, et qui, même blasé, n'a pas d'autre occupation que de courir à la
piste du bonheur; l'homme élevé dans le luxe et accoutumé dès sa jeunesse à l'obéissance des autres hommes, celui enfin qui n'a pas d'autre profession que l'élégance, jouira toujours, dans tous
les temps, d'une physionomie distincte, tout à fait à part. Le dandysme est une institution vague, aussi bizarre que le duel; très ancienne, puisque César, Catilina, Alcibiade nous en fournissent
des types éclatants; très générale, puisque Chateaubriand l'a trouvée dans les forêts et au bord des lacs du Nouveau-Monde. Le dandysme, qui est une institution en dehors des lois, a des lois
rigoureuses auxquelles sont strictement soumis tous ses sujets, quelles que soient d'ailleurs la fougue
et l'indépendance de leur caractère. Les romanciers anglais ont, plus
que les autres, cultivé le roman de high life, et les Français qui, comme M. de Custine, ont voulu spécialement écrire des romans d'amour, ont d'abord pris soin, et très judicieusement, de doter
leurs personnages de fortunes assez vastes pour payer sans hésitation toutes leurs fantaisies; ensuite ils les ont dispensés de toute profession. Ces êtres n'ont pas d'autre état que de cultiver
l'idée du beau dans leur personne, de satisfaire leurs passions, de sentir et de penser. Ils possèdent ainsi, à leur gré et dans une vaste mesure, le temps et l'argent, sans lesquels la
fantaisie, réduite à l'état de rêverie passagère, ne peut guère se traduire en action. Il est malheureusement bien vrai que, sans le loisir et l'argent, l'amour ne peut être qu'une orgie de
roturier ou l'accomplissement d'un devoir conjugal. Au lieu du caprice brûlant ou rêveur, il devient une répugnante utilité. / Si je parle de l'amour à propos du dandysme, c'est que l'amour est
l'occupation naturelle des oisifs. Mais le dandy ne vise pas à l'amour comme but spécial. Si j'ai parlé d'argent, c'est parce que l'argent est indispensable aux gens qui se font un culte de leurs
passions; mais le dandy n'aspire pas à l'argent comme à une chose essentielle; un crédit indéfini pourrait lui suffire; il abandonne cette grossière passion aux mortels vulgaires. Le dandysme
n'est même pas, comme beaucoup de personnes peu réfléchies paraissent le croire, un goût immodéré de la toilette et de l'élégance matérielle. Ces choses ne sont pour le parfait dandy qu'un
symbole de la supériorité aristocratique de son esprit. Aussi, à ses yeux, épris avant tout de distinction, la perfection de la toilette consiste-t-elle dans la simplicité absolue, qui est en
effet la meilleure manière de se distinguer. Qu'est-ce donc que cette passion qui, devenue doctrine, a fait des adeptes dominateurs, cette institution non écrite qui a formé une caste si
hautaine? C'est avant tout le besoin ardent de se faire une originalité, contenu dans les limites extérieures des convenances. C'est une espèce de culte de soi-même, qui peut survivre à la
recherche du bonheur à trouver dans autrui, dans la femme, par exemple; qui peut survivre même à tout ce qu'on appelle les illusions. C'est le plaisir d'étonner et la satisfaction orgueilleuse de
ne jamais être étonné. Un dandy peut être un homme blasé, peut être un homme souffrant; mais, dans ce dernier cas, il sourira comme le Lacédémonien sous la morsure du renard. / On voit que, par
de certains côtés, le dandysme confine au spiritualisme et au stoïcisme. Mais un dandy ne peut jamais être un homme vulgaire. S'il commettait un crime, il ne serait pas déchu peut-être; mais si
ce crime naissait d'une source triviale, le déshonneur serait irréparable. Que le lecteur ne se scandalise pas de cette gravité dans le frivole, et qu'il se souvienne qu'il y a une grandeur dans
toutes les folies, une force dans tous les excès. Étrange spiritualisme ! Pour ceux qui en sont à la fois les prêtres et les victimes, toutes les conditions matérielles compliquées auxquelles ils
se soumettent, depuis la toilette irréprochable à toute heure du jour et de la nuit jusqu'aux tours les plus périlleux du sport, ne sont qu'une gymnastique propre à fortifier la
v
olonté et à
discipliner l'âme. En vérité, je n'avais pas tout à fait tort de considérer le dandysme comme une espèce de religion. La règle monastique la plus rigoureuse, l'ordre irrésistible du Vieux de la
Montagne, qui commandait le suicide à ses disciples enivrés, n'étaient pas plus despotiques ni plus obéis que cette doctrine de l'élégance et de l'originalité, qui impose, elle aussi, à ses
ambitieux et humbles sectaires, hommes souvent pleins de fougue, de passion, de courage, d'énergie contenue, la terrible formule: Perindè ac cadaver ! / Que ces hommes se fassent nommer
raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandies, tous sont issus d'une même origine; tous participent du même caractère d'opposition et de révolte; tous sont des représentants de ce qu'il y a de
meilleur dans l'orgueil humain, de ce besoin, trop rare chez ceux d'aujourd'hui, de combattre et de détruire la trivialité. De là naît, chez les dandies, cette attitude hautaine de caste
provocante, même dans sa froideur: Le dandysme apparaît surtout aux époques transitoires où la démocratie n'est pas encore toute-puissante, où l'aristocratie n'est que partiellement chancelante
et avilie. Dans le trouble de ces époques quelques hommes déclassés, dégoûtés, désoeuvrés, mais tous riches de force native, peuvent concevoir le projet de fonder une espèce nouvelle
d'aristocratie, d'autant plus difficile à rompre qu'elle sera basée sur les facultés les plus précieuses, les plus indestructibles, et sur les dons célestes que le travail et l'argent ne peuvent
conférer. Le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences; et le type du dandy retrouvé par le voyageur dans l'Amérique du Nord n'infirme en aucune façon cette idée: car rien
n'empêche de supposer que les tribus que nous nommons sauvages soient les débris de grandes civilisations disparues. Le dandysme est un soleil couchant; comme l'astre qui décline, il est superbe,
sans chaleur et plein de mélancolie. Mais, hélas ! la marée montante de la démocratie, qui envahit tout et qui nivelle tout, noie jour à jour ces derniers représentants de l'orgueil humain et
verse des flots d'oubli sur les traces de ces prodigieux mirmidons. Les dandies se font chez nous de plus en plus rares, tandis que chez nos voisins, en Angleterre, l'état social et la
constitution (la vraie constitution, celle qui s'exprime par les moeurs) laisseront longtemps encore une place aux héritiers de Sheridan, de Brummel et de Byron, si toutefois il s'en présente qui
en soient dignes. […] Le caractère de beauté du dandy consiste surtout dans l'air froid qui vient de l'inébranlable résolution de ne pas être ému ; on dirait un feu latent qui se fait deviner,
qui pourrait mais qui ne veut pas rayonner... "
Dernière photographie : Jeune homme à la mode de 1823. Sa tenue est assez raffinée : " Habit à boutons de métal. Pantalon de casimir. Gilet de
velours à raies de satin par dessus un gilet de piqué. Manteau doublé de soie et garni de chinchilla. » On remarque ses chaussures très fines et ses chaussettes résilles. Gravure provenant
du Journal des Dames et des Modes (planche 2204) fondé à Paris en 1797, et dont Pierre de La Mésangère devient rapidement le directeur.
- Mardi 4 novembre 2008, Anglomanie, partie 3 : Lions, lionnes, lionceaux, faux anglais, high life, snobs, perfect gentlemen.
- Vendredi 7 novembre 2008 - Anglomanie,
partie 4 : Le sport avec les gentlemen, les gentilshommes du sport, les sportsmen et les sportswomen, les
hygiénistes.