Penser à la mort

La mort, bien souvent, fait mentir. Qui peut y songer sans en voiler l’odieuse réalité, sans en nier aussitôt la triste possibilité ? Il n’y a pas de pensée hardie de la mort. Soit parce qu’on y pense en se sachant vivant ; soit parce qu’on en refuse la nécessité ; soit parce qu’on déforme le souvenir des morts ; soit enfin parce qu’on en tait, quand il concerne les autres, le désir conçu, banal et secret.

Honnie ou souhaitée, elle est donc toujours recouverte par l’effroi qu’elle inspire. Peut-être est-elle même le prototype de la pensée non assumée, refoulée. Toute pensée de la mort est-elle donc hypocrite ? Et cette hypocrisie est-elle souhaitable, salutaire, vitale ? Ce recouvrement est-il nécessaire à la vie ?

C’est du moins ce qu’exige la vie sociale. La conscience, la peur ou le désir de mort paraissent incompatibles avec le travail, le plaisir, les relations sociales. Celui qui en parle est vivement critiqué, accusé de fragilité ou de cruauté. On est donc face à la mort toujours trop faible ou trop fort. Qu’on la défie ou la redoute, qu’on gémisse ou fanfaronne, la société condamne la pensée de la mort.

C’est pourquoi elle en socialise la pensée, elle la civilise en la ritualisant. C’est le Jour des morts, jour de recueillement et de méditation. Mais que devient notre rapport, autrefois riche et complexe, à la personne morte ? Que devient-il d’autre qu’un souvenir soudainement tronqué, partial, mensonger ? Avant comme après, la mort ne cesse de masquer les nuances et les ambiguïtés de la réalité.

Freud s’étonnait devant tant de manières et si peu de probité. Notre rapport à la mort manque de franchise, pensait-il, il manque de courage, de clarté, de « santé ». Car à fuir l’insupportable, on se rend plus insupportable encore ce qui ne peut que l’être. Et l’on continue de flatter la vaniteuse souveraineté de l’ego, détestant la mort, les autres et ses fragilités, au lieu de l’éduquer…