Editions POL 1990
Récit tiré du film "Les enfants" (1984)
Ce récit est sûrement l'un des moins connus de Duras. Il occupe une place très particulière dans son oeuvre : s'il y a bien une histoire d'amour, entre frère et soeur (c'est déjà le cas par exemple dans Agatha ), on note ici un certain "ancrage sociologique" : si les personnages sont somme toute assez fantomatiques (passé nébuleux, âge indéfini), l'histoire se situe dans un lieu précis, et non maritime, comme c'est souvent le cas chez Duras ; nous sommes à Vitry, au bord d'une autoroute, près d'un terrain vague, dans une famille d'immigrés, vivant des allocations.
Il y a le père et la mère, venus en France tardivement, Ernesto et Jeanne les deux aînés et les autres "brothers et sisters". Ils vivent à l'écart de tout, leurs enfants sont livrés à eux-mêmes, ils ne vont pas à l'école.
Parfois, on ramasse des livres près des poubelles et ...Ernesto se met à lire, alors qu'il n'a jamais appris à lire...Il se met à raconter l'histoire de David, le roi d'Israël à ses brothers et sisters. Devant un tel prodige, l'instituteur conseille aux parents de mettre Ernesto à l'école.
Mais, après quelques jours, il veut quitter l'école, car comme il dit "parce qu'à l'école, on apprend des choses que je ne sais pas". Ernesto, le génie, devient la curiosité de la ville, des médias, de la France entière....
Qu'a-t-il voulu dire ? Ernesto est présenté comme un enfant entre "onze et vingt ans". C'est un être à part, déjà trop grand, qui a tout compris au monde, qui a appréhendé la compréhension de l'univers et qui maintenant a perdu espoir, a peur, car, "le monde, ce n'était pas la peine".
Ernesto est le double du roi d'Israël qui a tout appréhendé et qui a compris que "tout est vanité des vanités et poussière du vent" ; Ernesto a été saisi, il a l'intuition du monde incomplet ; l'école ne peut donc rien lui apporter....hormis la peur, car il a compris qu'il manquait quelque chose au monde, qu'il était loupé....
Grandeur de l'intuition, de la porosité avec le monde face à l'autorité futile des institutions de la société...Pauvreté, solitude, marginalisation d'êtres immigrés. Mais c'est derniers, marqués par l'intuition, n'en sont que plus grands, ils sont à part.
Jeanne suit les pas de son frère et vit un amour incestueux avec lui mais ce paradis va prendre fin après la pluie d'été....Car, c'est la fin de l'enfance, ce paradis où l'on avait pas tout encore saisi...
Duras héroïse ces personnages à part, à priori en deçà de la connaissance, mais qui éprouvent, qui sont éblouis...Quand à la mère, elle se réfugie dans les souvenirs russes de la Neva enneigée...mais le paradis va prendre fin...
Poésie de la marginalité, poésie de l'incomplétude du monde, du vide et du manque que l'on ressent car la connaissance est poursuite du vent...Ernesto, le génie, a grandi trop vite et a saisi le vide de l'existence.
Duras fait alterner dialogues, narration ; on a l'impression que si, effectivement, l'auteur ancre plus que d'habitude son histoire dans un milieu sociologique, c'est pour mieux les en extraire, les placer au delà du monde, au dessus pour mieux l'appréhender. Et la société, elle, ne comprend pas, se montre perplexe....