Cela fait près de 20 ans que j'enseigne les
principes de l'organisation du travail d'Henry Ford.
On peut d'ailleurs relire cet article sur l'organisation du travail ici.
Il se trouve qu'on va fêter cette année les 100 ans du lancement de son plus célèbre modèle: la Ford modèle T.
Que m'a appris le web ?
Hé bien, mes recherches ont été très riches, plus que je ne le pensais.
Des images d'archives qui nous montrent la robustesse du modèle et des images sur
l'organisation du travail révolutionnaire pour l'époque
Henry Ford, je le connaissais pour plusieurs raisons:
- on lui doit deux réelles innovations (au sens schumpétérien évidemment): la chaîne mobile (avec le principe
du convoyeur) et la standardisation des produits.
Voici les principes du management chez Ford
Je suis certain que Charles Chaplin s'est fortement inspiré de certaines images d'archives pour réaliser son chef d'oeuvre : les Temps Modernes !
Cette organisation du travail lui permet de réduire le temps d'assemblage de 12 heures à 2 heures 40 minutes (presque une division par 6 !!).
Ce qui lui autorise une baisse considérable des coûts de production.
Comme il voulait "mettre l'Amérique sur 4 roues", il diminua encore le prix de sa modèle T (elle était au départ à 850 $, puis à 260 $).
Evidemment, les ventes passent de 200 000 avant 1914 à plus d'un million en 1920.
Un point essentiel dans ces mécanismes de standardisation: les pièces détachées.
Les ingénieurs chez Ford mettaient au point des pièces avec des tolérances de fabrication très faibles.
Par conséquence, les ouvriers n'avaient plus qu'à assembler les pièces les unes aux autres (comme un Lego). Les activités des ouvriers de métiers qui consistaient à ajuster les pièces, puis à les
assembler se sont donc fortement réduites.
Ce qui procurait des avantages économiques essentiels:
- le risque d'erreur est beaucoup moins important qu'avant, le gain de temps également.
- on peut remplacer les ouvriers de métiers par des ouvriers non qualifiés.
Or, il se trouve qu'à cette époque, les Etats-Unis disposaient d'une main d'oeuvre immigrée extrêmement importante.
- on connait Henry Ford également pour ses petites phrases si célèbres voir ici.
- on savait également que les conditions de travail étaient très rudes chez Ford.
Voici deux vidéos assez courtes qui racontent et montrent ce que signifiaient cette nouvelle façon de travailler, et tous les changements induits...
Souvent, lorsque j'apprends aux élèves que "la plus belle affaire" de la vie d'Henry Ford fut lorsqu'il augmenta considérablement les salaires
journaliers.
Mais, si la Ford modèle T a démarré en 1908, la "journée à 5 $" n'a eu lieu qu'en 1914.
Pourquoi ?
Je savais que le turn-over était très élevé (étant donné la pénibilité du travail) : un ouvrier restait en moyenne 3 mois chez Ford.
Mais, cette idée selon laquelle Henry Ford fut celui qui a le premier mis en place des salaires élevés et une consommation de masse est
fausse.
Preuves à l'appui ?
argument n°1: il ne suffisait pas de travailler chez Ford pour bénéficier mécaniquement de ces salaires élevés. Tout d'abord, il fallait avoir une ancienneté de 6 mois; puis l'ouvrier
devait remplir toute une série de conditions "morales": ne pas boire, avoir une vie familiale honorable...
Une cellule fut même mise en place pour vérifier la bonne moralité des travailleurs dans l'usine et en dehors.
argument n°2: les salaires chez Ford furent élevés au début, mais ils n'évoluèrent quasiment pas ensuite (ce qui est un comble lorsqu'on connait l'ampleur des gains de productivité chez
Ford): 5 $ en 1914, puis 6$ en 1919 et 7 $ en 1927.
Il n'est pas étonnant que la crise de 1929 s'explique en partie par une sous-consommation !
une superbe fresque de diego riviera "chaine de montage dans les usines automobiles" 1933
Maintenant, j'ai découvert aussi sur le web, le côté obscur de Ford...
"La construction du modèle T exigeait 7 882 opérations. Sur ces 7 882, 949 exigeaient des hommes vigoureux, robustes; 3 338 des hommes d'une force physique
ordinaire; presque tout le reste pouvait être confié à des femmes ou des grands enfants.
Nous avons constaté que 670 opérations pouvaient être accomplies par des culs-de-jatte, 2 637 par des unijambistes, 2 par des hommes amputés des deux bras, 715 par des manchots et 10 par des
aveugles."
Henry Ford, Ma vie, mon oeuvre 1925.
On le sait, ce mépris sera une des raisons pour lesquelles le Fordisme sera remis en cause.
Mais je n'étais pas au bout de mes surprises lorsque je tombais sur cet article du Monde Diplomatique
Les engagements politiques d'Henry Ford sont allés très loin: il fut
l'un des chefs de file de l'antisémitisme aux Etats-Unis dans les années 1920 - 1930, il diffusa abondamment Le Protocole des sages de Sion et fut même récompensé par une médaille du Troisième Reich (voir photo)
Il avait une admiration pour Adolf Hiltler (qui le lui rendait bien: le nom d'Henry Ford apparait dans Mein Kampf), il lui a donné l'envie de réaliser également la voiture du peuple...
Henry Ford a du s'excuser publiquement plusieurs fois, notamment pour des propos antisémites. Lorsque les Etats-Unis déclarèrent la guerre au régime Nazi, il fit
rapidement son mea culpa.
Cité par l'article de Wikipédia sur Henry Ford:
L'historien Pierre Abramovici, dans l'article Comment les firmes US ont travaillé pour le Reich » porte un jugement sévère sur les positions d'Henry Ford.
« Henry Ford, le plus que septuagénaire milliardaire américain, est un antisémite maladif. Il accuse les Juifs d'avoir déclenché la grande Guerre et commence à les attaquer dès 1916. En
1920, il achète un hebdomadaire, le Dearborn Independant, qui lui fournit une tribune. Il entretient des relations privilégiées avec l'Allemagne nazie. Henry Ford est décoré, à Detroit le30 juillet
1938, de l'ordre allemand de l'Aigle. Cette distinction, réservée aux étrangers, lui est remise par le consul allemand à Detroit, Karl Capp et par son homologue à Cleveland, Fritz Heiler. Il participe le 26 juin 1940 à un dîner de gala au Waldorf Astoria de New York,
destiné à célébrer la victoire allemande sur la France, après que cette dernière lui eut déclaré la guerre. »
— Pierre Abramovici, septembre 2002
Conclusion: il faut plus que jamais distingué Ford et Fordisme.
Le second terme a été forgé par les économistes de l'école de la régulation pour désigner un mode de régulation économique lié aux Trente Glorieuses alliant
production et consommation de masse.
Ford est incontestablement un entrepreneur -au sens schumpétérien du terme- qui aura marqué son époque (au même titre
qu'un Bill Gates).
Mais il n'a pas toutes les vertues qu'on lui prête habituellement lorsqu'on en fait une présentation un peu trop sommaire.
Allez, Back to the future avec une grande dame de la chanson française
Découvrez Damia!
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