L’exposition Darkside au Fotomuseum de Winterthur (jusqu’au 16 Novembre) explore ce côté sombre de notre personnalité en long, en large et en travers. Elle attrape tout, les thèmes se chevauchent et s’amalgament; naturisme, publicité, féminisme, fétichisme se bousculent allègrement. Il y a dix expos en une, avec des codes couleur sur les murs pour qu’on ne se perde pas, qu’on sache bien qu’ici il est question de grotesque et là de fantasmes, et pas le contraire. Le mieux est alors de déconstruire et de se refaire pour soi-même telle ou telle petite exposition à l’intérieur de la grande, de zapper une partie et de se concentrer sur une autre, d’échapper à cette profusion de sexe et de sexes, qui lasse assez vite.
L’unité de cette exposition, c’est la photographie, ou plutôt l’acte de photographier, c’est le désir visuel, la possession du modèle par sa représentation. Ce n’est pas très original, la photo comme substitut éculé de l’acte sexuel, l’objectif comme ersatz du pénis, mais l’intérêt ici est de voir à quel point la photographie est essentielle au désir, au fantasme. L’image a de tout temps été un vecteur de désir, travestissant le réel (me vient à l’esprit, étrangement, le souvenir d’Holbein peintre pré-nuptial), attisant le désir (ainsi avec ce Vulcain du Tintoret), mais la photographie est devenue un instrument essentiel, indispensable de la sexualité.
La meilleure section de l’exposition est, je pense, une petite salle quasi close, presque intime sur le voyeurisme, sans doute parce que, avec le voyeurisme, on se trouve confronté à l’apport unique de la photo à l’érotisme. Outre un Tchèque dont j’ai beaucoup parlé ici, il y a dans cette salle une série de Yoshiyuki sur les voyeurs dans un parc de Tokyo (The Park), quelques photos de prostituées, volées à travers des fenêtres indiscrètes par Merry Alpern, un Helmut Newton trop explicite, trop brutal (Etude de voyeurisme, Beverly Hills) et cette petite photo de Piotr Uklanski de 1997, qui est la seule photo de l’exposition que j’ai envie de vous montrer, la plus subtile, la plus mystérieuse et, à mes yeux, la plus érotique de toutes (et pourtant, il y avait embarras du choix..): cette femme sensuelle, un doigt à la bouche, nous fixant droit dans les yeux, est vue à travers un trou de serrure, symbole de voyeurisme, bien sûr, mais aussi de possession, de complicité, de jeu, de limites à franchir, ou pas. Et la photo est noire, bien noire, autour de ce visage. Là réside la vraie Darkside.Pour le reste, il y a dans cette exposition du charme et du mystère, du surréalisme et du naturalisme, de l’obscénité et de la suggestion, des allusions et des réalités crues, des femmes-objets et des femmes-pouvoirs, et aussi de la tendresse là où on ne l’attend pas (chez Nan Goldin par exemple). Mais un peu trop de tout.