La catastrophe actuelle n’est pas une crise financière, économique, écologique, politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la fois et simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite.
La lecture sur le blog d'Anne-Sophie de cet extrait du discours de Yves Cochet le 14 octobre à l’Assemblée Nationale lors d’un débat sur la déclaration du gouvernement préalable au conseil européen, m'avait beaucoup interpellée. Cette crise économique nous pousse à une profonde remise en question des systèmes économiques, financiers sur lesquels nous reposons, et cette remise en question, pour ma part est un puissant accélérateur dans ma propre réflexion et mon propre cheminement écologique. Car aujourd'hui, il est impossible -à mes yeux en tout cas- de raisonner purement sur le volet de l'économie sans mettre en perspective les questions écologiques. Yves Cochet livre un puissant discours volontaire, courageux, lucide bien loin des discours politicards, et au vu des réactions au sein de l'Assemblée, nous sommes manifestement face à une crise idéologique également ... A relayer pour que ce genre de prise de position chemine et prenne de l'ampleur.
Débat sur la Déclaration du Gouvernement préalable au Conseil européen
Extrait du compte rendu officiel
M. le président. La parole est à M. Yves Cochet, pour le groupe GDR.
M. Yves Cochet. Monsieur le président, je parle au nom des députés Verts.
La catastrophe actuelle n’est pas une crise financière, économique, écologique, politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la fois et simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite.
M. Marc-Philippe Daubresse. Tout est dans tout !
M. Yves Cochet. Elle est, en un mot, une crise anthropologique. Pour le comprendre, il nous faut remettre en question toutes nos croyances – et Dieu sait si elles sont nombreuses ici. Il nous faut décoloniser l’imaginaire. (Applaudissements ironiques sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Il nous faut penser l’impensable.
La débâcle financière actuelle n’est pas d’abord, comme on l’entend ici ou là, une crise de liquidité. C’est une crise de surgonflement des actifs financiers par rapport à la richesse réelle, c’est-à-dire l’opposé d’une crise de liquidité. Le marché financier, en d’autres termes le volume des échanges de papier virtuel, est plus de vingt fois supérieur aux échanges de l’économie réelle. La richesse réellement existante n’est plus suffisante, comme jadis, pour servir de gage à la dette financière. Un seuil a été dépassé : le seuil de liaison entre le capitalisme, fondé sur le crédit, et les ressources naturelles, qui sont la base de toute richesse réelle.
M. François Goulard. Cela ne veut rien dire !
M. Yves Cochet. Monsieur Goulard, prétendriez-vous que les ressources naturelles ne sont pas la base de toute richesse réelle ?
M. François Goulard. Mais non, c’est le pouvoir de l’homme !
M. le président. Monsieur Cochet, un discours à la tribune n’est pas un dialogue. Vous seul avez la parole.
M. Yves Cochet. Je veux simplement dire à M. Goulard : n’achetez plus de pétrole, ce n’est pas une richesse réelle !
L’effondrement financier actuel s’explique par le dépassement de ce seuil, par la rupture de cette liaison. Autrement dit : la dette est totalement dévaluée en termes de richesses réellement existantes. Avant l’intervention des États et en l’espace de quelques jours, personne ne désirait plus échanger une richesse réelle contre une dette, même rémunérée par un fort taux d’intérêt. La dévaluation de la dette s’explique par cette déconnection, et non pas par un manque de crédit, d’argent en circulation ou de prêts entre banques – cliché véhiculé ici et là.
La question principale est donc : la croissance de l’économie réelle peut-elle être assez forte pour rattraper la croissance massive de la dette ? (« Ce n’est pas cela ! » sur les bancs du groupe UMP.) Évidemment, la réponse est non. La croissance de l’économie réelle est désormais fortement contrainte par la raréfaction des ressources naturelles qui forment la base de tous les systèmes de sustentation de la vie économique et sociale. Cette contrainte s’exerce à la fois en amont par la déplétion minérale et fossile – par exemple le pic de Hubbert – et en aval par la pollution de l’atmosphère, des terres et des océans.
En outre, les inégalités croissantes de revenus depuis trente ans n’incitent pas les ménages à la consommer, sauf par le biais de crédits qui gonflent encore plus la dette. Ainsi, les coûts marginaux de la croissance sont désormais supérieurs à ses bénéfices marginaux. Autrement dit encore : la croissance physique réelle nous rend de plus en plus pauvres.
Pourtant, l’aveuglement des dévots de la croissance (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) continue de plus belle ! Ainsi, la déclaration émise par l’Eurogroupe avant-hier commence de la façon suivante : « Le système financier apporte une contribution essentielle au bon fonctionnement de nos économies et constitue une condition de la croissance. »
M. François Goulard. Oui !
M. Yves Cochet. C’est une forme de religion, une théologie, une croyance. Mais l’économie réelle n’est plus en croissance – même négative, madame la ministre : elle est en récession ! Nous pourrions presque prendre des paris sur l’avenir, hélas, car tout cela est bien malheureux. Ceux qui, malgré des signes avant-coureurs objectifs, matériels et présents depuis des années, n’ont pas anticipé, se trouvent fort démunis, y compris dans leur imaginaire.
Quel objectif devons-nous donc viser, en France et en Europe ? Il faudrait que les banques tendent progressivement vers un taux de réserves idéal, c’est-à-dire égal à 100 % de leurs prêts. Toutes les banques devraient devenir graduellement de simples intermédiaires entre déposants et emprunteurs, et non plus des « machins » qui créent de la monnaie à partir de rien et la prête avec intérêt.
M. François Goulard. Elle vient d’où, cette monnaie ?
M. Yves Cochet. Comme je l’ai expliqué, la recherche de la croissance est désormais antiéconomique, antisociale et antiécologique. La croissance est appauvrissante. De toute façon, que vous le reconnaissiez ou non, que vous le vouliez ou non, la récession est là ! Vous n’avez pas su l’anticiper car vos modèles économiques sont périmés, et je crains, hélas, qu’à cause de votre aveuglement, elle ne soit longue et pénible, notamment pour les plus défavorisés, qu’ils vivent dans les pays de l’OCDE ou dans ceux du sud.
Toutes nos actions devraient être guidées par la volonté de faire décroître l’empreinte écologique des pays de l’OCDE. Je sais – et les sourires que je vois me le confirment – que les dirigeants du Conseil européen et vous-même, monsieur le Premier ministre, avez un autre modèle en tête afin de retrouver la croissance. Quelle illusion ! Vous essaierez de sauver la sacro-sainte croissance à laquelle vous croyez parce que vous êtes incapables d’imaginer un autre modèle économique, un autre type de société.
L’espoir d’une nouvelle phase A du cycle de Kondratiev succédant à la phase B que nous traversons depuis trente ans, est vain. Nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle croissance matérielle ou industrielle, mais dans la phase terminale du capitalisme (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), comme le disait Immanuel Wallerstein il y a trois jours.
Les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites, pour des raisons géologiques et économiques que vous ne voyez pas. II faudrait mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau, une société de sobriété dont je ne peux dessiner, de manière très sommaire, que quatre orientations principales. Premièrement : tendre à l’autosuffisance…
M. Marc-Philippe Daubresse. En matière d’autosuffisance, vous vous y connaissez !
M. Yves Cochet. … locale et régionale en matière énergétique et alimentaire, au nord comme au sud. Deuxièmement : aller vers une décentralisation géographique des pouvoirs – bref, vers une France fédérale dans une Europe fédérale. Troisièmement : s’efforcer de relocaliser les activités économiques. Quatrièmement : viser une planification concertée (« À la soviétique ! » sur les bancs du groupe UMP) et l’instauration de quotas, notamment en matière énergétique et alimentaire.
À défaut d’une telle vision et d’une telle action, je crains que notre continent européen ne traverse bientôt des épisodes troublés dont nous apercevons déjà les prémisses. Je prends date aujourd’hui devant vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe NC.)
John Stuart Mill disait : « Aux grands maux, les petits remèdes n’apportent pas de petits soulagements, ils n’apportent rien. »
Mme Claude Greff. Vous non plus !
M. Yves Cochet. Les grands maux actuels de l’Europe et du monde réclament donc une créativité et une inventivité politiques inédites dans notre histoire. C’est à cette hauteur de pensée et d’action que j’appelle les dirigeants européens, afin de sauver la paix, la démocratie et la solidarité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et SRC.)
Billet original sur le blog d’Yves Cochet.