Frédéric Cavazza a récemment publié un article volontairement provocateur sur Facebook. Il parle d'emblée "d'échec de Facebook" et, après avoir exposé ses arguments, juge que la situation est à tel point "alarmante" que la firme de Palo-Alto pourrait bien être la réincarnation de boo.com.
La provocation a un mérite : la montée de mercure passée, elle fait réfléchir et pousse à discuter. Cela dit, lorsqu'elle est excessive, elle peut obtenir l'effet inverse : crisper les personnes et obscurcir les questions. Je ne suis pas sûr que la ligne n'ait pas été franchie…
Une des meilleures lectures qu'on puisse faire pour comprendre le phénomène boo.com, c'est le récit qu'en fait un de ses fondateurs. Si l'on croise cette perspective de l'intérieur avec des données extérieures, comme Wikipédia, on peut se faire une idée assez juste des raisons de la grandeur et de la décadence la startup britannique.
En deux mots, Boo avait l'ambition d'être l'Amazon du sportswear chic et de la mode tendance. Ils ont mangé 135 millions de dollars en dix-huit mois pour un site marchand qui a vécu six mois.
La startup londonienne a échoué à mon sens pour principalement deux raisons. La première est un leadership défaillant. Les fondateurs n'avaient pas l'envergure requise pour diriger une affaire d'une telle ambition et d'un tel enjeu. En particulier, l'irréalisme financier et l'immaturité dans l'encadrement sont flagrants dans le livre. La seconde est la méconnaissance des enjeux techniques et ergonomiques inhérents au Web. Cela a conduit, après des retards répétés, au lancement d'un site largement inaccessible en raison de sa lenteur et dont le taux de transformation avoisinait 0,25%. Dès lors, les revenus étaient trop faibles pour soutenir une société qui comptait plus de 400 personnes réparties dans plusieurs bureaux dans le monde. Dès lors, la montagne ne pouvait qu'accoucher d'un canard, pardon, d'une souris…
Sur la base de ces deux critères, on peut clairement dire que Facebook est aux antipodes de Boo. Au plan du leadership, si son dirigeant Mark Zuckerberg est très jeune, il s'est entouré de personnes de la première compétence, comme Sheryl Sandberg, son bras droit, ou Marc Andreesen, qu'il a attiré au conseil de direction. La société, d'une façon générale, semble séduire les meilleurs talents. Quant au site, comment ne pas louer la prouesse technique de gérer une croissance aussi rapide sans défaillance particulière ? Qu'on songe par opposition à Twitter, pourtant d'une complexité et d'une audience bien moindres. Comment aussi ne pas attribuer une part notable de son succès à son interface propre et élégante ainsi qu'à son ergonomie ?
Sur le plan financier, je ne vois pas de raisons de s'inquiéter pour Facebook avant deux ou trois ans. Le société est fortement capitalisée avec près de 500 millions de dollars en banque. Ensuite, si l'on en croit Mark Zuckerberg, les résultats financiers sont loin d'être alarmants. Si elle a perdu 150 millions de dollars l'an dernier, son EBITDA est positif de 50 millions. C'est donc une société profitable au plan opérationnel mais qui investit lourdement.
En revanche, c'est bien vrai, l'écart entre la notoriété, l'audience, les investissements, sa valorisation (15 milliards de dollars !) et ses profits est problématique. Et si Facebook venait à échouer à relever ce défi, je pense que Frédéric Cavazza aura eu raison de faire le parallèle avec Boo, toutes deux emblématiques des rêves et des illusions de leur temps.
Mais Facebook a le temps encore, et dispose même d'une arme secrète : Microsoft. Comme Facebook, dont elle est actionnaire et partenaire industriel, la firme de Redmond a le plus grand intérêt à découvrir la martingale : cela la mettrait enfin en position de contester sérieusement la domination de Google.