Magazine Humour

La première page...

Par Elisabeth Robert

Et voici pour vous lecteurs ébahis, attentifs et nombreux!:) la première page de mon roman "Te souviens-tu de Nous?"!

Pour ceux qui ne l'ont pas encore commandés (et oui il y en a encore quelques uns!;), voici où le trouver (cliquez sur le lien), en attendant septembre, là on le trouvera à la Fnac, amazon et en librairies: YOUPI!!:)

Pietra Liuzzo

ELLE

— Comme s'il suffisait d'aimer pour vivre d'amour et d'eau fraîche !

Charline ronchonnait tout en regardant un reportage télévisé sur les plus belles histoires d'amour de notre siècle. Elle adorait ce genre d'émission où l'on croit tout apprendre des secrets de chacun. Mais ce soir, le sujet commençait sérieusement à l'irriter.

— Pff, non mais, ils pensent réellement que ce genre d'histoire arrive vraiment ? C'est truqué, pas possible que l'amour gagne à la fin, depuis le temps, cela se saurait !

Elle était célibataire depuis si longtemps qu'elle en avait perdu toutes ses illusions. Alors, tout ce romantisme et ce côté fleur bleue, tout cela lui rappelait encore et toujours qu'elle n'y avait plus droit, et elle ne supportait pas l'idée d'être mise au pied du mur.

Le programme de ce soir racontait justement les romances les plus incroyables de couples hors du commun; entre acteurs et actrices, princes et roturières, mais aussi au sein du milieu politique, ou bien encore d'un pays à un autre. Toutes ces histoires s'achevaient fatalement par une belle fin, parfois douloureuse, mais toutes avaient ce point commun de rester légendaires.

Le dernier couple en question avait même été obligé de quitter son pays d'origine, les amants ayant fui un régime totalitaire pour avoir la liberté de s'aimer. Tout ce qui semblait impossible dans la réalité paraissait magnifique sur le petit écran.

— Mais comme c'est beau, comme c'est adorable et tendre, trognon, mignon, beurkkk… déclara Charline à son oreiller, qui était devenu au fil du temps son meilleur confident.

Mais le ton qu'elle employait était de plus en plus moqueur et agacé, elle finit même par hurler :

— Mais c'est vraiment du grand n'importe quoi ! Comme si tout cela pouvait arriver dans la «Vraie Vie» ! Pff, vraiment ils veulent nous faire gober n'importe quoi !

Elle coupa net le téléviseur noir et blanc, vieil héritage de sa grand-mère, et entreprit d'aller promener Mobu, son petit chien. Ce n'était pas un beau chien de race, mais plutôt une espèce de mélange entre le caniche et le labrador, il était laid, petit, au pelage noir et blanc. Elle disait souvent en riant qu'elle n'avait pas eu les moyens d'en acheter un en couleurs ! D'ailleurs, si elle l'avait perdu, elle aurait été bien incapable de le décrire tellement il ne ressemblait à aucun autre animal existant. Mais justement, Charline adorait cela, un chien unique dont personne n'avait voulu, à part elle.

Et puis surtout, il était si gentil, même s'il passait

son temps à dévorer les chaussons de sa maîtresse. Du coup, Charline cherchait des heures entières les restes de ses pantoufles sous le canapé, ou bien sous son lit.

Et à chaque lambeau de tissu retrouvé, elle s'écriait :

« Oh non Mobu, pas ceux-là, je les adorais ! », ou bien encore : « Oh, tu exagères Mobu ! Un jour, je vais te faire interner dans un asile pour chiens ! Tu es prévenu Mobu, la prochaine fois tu n'y couperas pas ! »

Elle s'amusait à se persuader que son chien ne pouvait pas se douter qu'un tel institut n'existait pas, et elle espérait lui faire peur, comme on menace parfois un enfant d'être privé de dessert ou de dessins animés lorsqu'il n'est pas sage. Mobu devait donc obéir, s'il ne voulait pas se retrouver enfermé dans un asile pour chiens fous. Elle se trouvait bien rusée d'utiliser ce stratagème, même si visiblement, le petit chien n'écoutait absolument rien de ce que sa maîtresse lui racontait.

Charline était donc une jeune femme de trente ans en mal d'amour, plutôt drôle dans ses bons jours, attentionnée avec son chien, et aussi très disponible pour ses proches, d'autant plus qu'elle n'avait pas de petit ami pour lui voler son temps. Elle était jolie, souriante et intelligente. Elle essayait tant que possible d'éviter les préjugés, et crevait d'envie d'avoir un jour un bébé rien qu'à elle.

Elle était à l'âge où toutes ses amies, ou presque, étaient fiancées, mariées, pacsées, avec enfants ou enceintes, et elle avait bien du mal à garder la tête froide tous les jours. Mais il le fallait bien, elle n'était pas du genre à se laisser abattre, et pour se donner du

courage, elle se disait chaque jour que le meilleur restait à venir.

Charline était de taille moyenne, environ un mètre soixante-cinq pour cinquante kilos, de longs cheveux châtains et des yeux vert doré. Elle s'habillait en suivant la mode, selon son budget. Cette année, la tendance était au hippie chic, alors elle avait surtout mis l'accent sur le côté hippie. Elle vivait dans un appartement de deux pièces, au sixième étage d'un immeuble ancien, en plein coeur de Paris. Elle bossait comme comptable dans une petite boîte tenue par un homme d'une cinquantaine d'années, plutôt gentil, et encore plus avec elle, car il la trouvait tellement belle qu'il ne lui refusait jamais rien. La vie de Charline était bien organisée, quelques week-ends en Normandie avec les copains, les soirées télé en semaine, sortir boire un verre de temps à autre, rester des heures au téléphone avec les quelques copines encore célibataires qu'il lui restait. Sortir le chien, se faire à manger bio, aller travailler avec le sourire, prendre le métro, se promener seule dans les rues de Paris, et surtout, surtout, rêver d'une vie différente…

— C'est trop dur d'être seule mon Mobu, j'en ai marre de voir le bonheur de tout le monde. Moi aussi je veux un mec qui me dirait que je suis la plus belle, qui passerait des heures à me regarder dormir. Moi aussi je veux m'engueuler avec lui à propos des gosses et détester sa mère. J'en ai marre, regarde-moi, j'ai trente ans, je bosse et tous les soirs je suis seule. Oui, je sais très bien ce que tu vas me répondre, tu vas me dire que parfois je ne rentre pas seule, que je ne dors

pas seule. Oui, mais non ! Ce n'est pas cela, l'amour ! Ça, c'est du cul ! C'est juste pour être certaine que je n'oublie pas comment ça fonctionne, et puis bon, aussi un peu pour le plaisir quand même. La preuve que je suis pathétique, je parle à un chien qui passe son temps à bouffer mes chaussons !

Elle se mit à pleurer, et s'assit les jambes croisées sur son tapis. Elle contempla longuement son petit appartement, elle l'aimait bien, elle s'y sentait protégée, son abri atomique à elle.

Elle bascula doucement en arrière, le dos à terre, et posa sa tête entre ses bras. Elle s'étira et ferma les yeux. James Blunt passait à la radio, elle finit par s'endormir recroquevillée sur son tapis, les yeux remplis de larmes, en murmurant : « You're beautiful… you're beautiful, it's true… »


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