La vie moderne

Par Rob Gordon
Après avoir vu La vie moderne, il y a de quoi se sentir honteux. Honteux de se complaire dans un confort moderne et pourtant insatisfaisant. Mais également honteux d'avoir aimé passionnément ce film alors qu'on rechigne à aller passer un week-end à la campagne. Même si ce n'était pas le but de Raymond Depardon, La vie moderne nous met face à nos contradictions de bobos / cinéphiles / citadins (rayez les mentions inutiles). Plus simplement, c'est aussi un film beau à pleurer, simple mais pas niais (on n'est pas dans une pub Herta), qui observe sans juger. Comme à son habitude, Depardon a filmé petit bout par petit bout, année après année, le quotidien de ces vraies gens. Tous sont d'une authenticité folle, et si certains sont même carrément pittoresques, la moquerie n'est jamais au rendez-vous. Depardon entretient de vrais liens avec ceux qu'il filme, et les traite avec une tendresse folle.
On pourrait se contenter de savourer les plans beaux comme des tableaux, qui magnifient la campagne sans pour autant la rendre artificielle. On pourrait citer Edward Hopper (encore lui) ou Norman Rockwell. Ce serait oublier le fond d'un film sur la transmission d'un patrimoine, les conflits entre générations, la marginalisation de l'activité agricole... Ce qui frappe surtout, c'est le fatalisme qui régit tous les comportements et réactions. Qu'ils soient jeunes ou vieux, nés sur place ou venus de leur plein gré, les héros (le mot est juste) du film de Depardon ont perdu leurs illusions, et sont conscients que l'avenir ne sera pas rose. On ne sait qui plaindre le plus : cette jeune femme qui réalise que ses projets sont hors de portée ? ce vieux taiseux conscient qu'il n'aura bientôt plus la force de sortir ses chèvre lui-même ? Difficile à dire. Souvent triste, La vie moderne n'est heureusement pas exempt de drôlerie, la truculence et la forte personnalité de quelques paysans ayant de quoi réjouir. On en sort néanmoins avec un poids sur le coeur, ravagé par ces souffrances qui ne disent pas leur nom.
8/10