Enfin un guide pour les marchés déboussolés, enfin une main ferme qui décrète la fin de l’anarchie : le système financier sera consolidé, les dépôts garantis, les banques renflouées avec droit de regard. En France, il s’agit de 73 kerviels (360 md€), un montant tout aussi « virtuel » que celui du trader puisque composé de prêts garantis aux banques en difficultés, donc remboursables, et rémunérés durant leur vie. Comme on utilise une bombe pour souffler les puits de pétrole en feu, l’annonce de l’accord européen, à la suite du plan américain Paulson, et le fait que l’idée vienne du pays le plus réticent à l’Europe, le Royaume-Uni, remet de l’ordre dans les idées.
La marché a aimé, il s’est redressé aussi brutalement qu’il était tombé. Peut-il aller plus haut ? Pas vraiment.
Si la crise du crédit est en voie de résorption, elle n’est pas terminée, reste notamment l’échéance du 31 décembre pour les hedge funds et pour beaucoup d’OPCVM qui provisionnent déjà les retraits inévitables. Client lessivé craint la bourse et la confiance de l’épargne ne renaît pas comme ça, d’un claquement de plan. Qui dit retraits dit ventes forcées.
Au-delà de la crise du crédit reste la récession économique. Il y a désormais l’espoir qu’elle ne se cancérise pas en Dépression, qui est une spirale négative dans laquelle la baisse de production engendre tout un cortège de chômage, faillites, frilosité à investir et donc nouvelles faillites, chômage et ainsi de suite. Mais la récession en cours ou qui vient se verra dans les comptes des entreprises. La capitalisation boursière de nombreuses sociétés est inférieure à la valeur de leurs actifs, mais le prix des actifs a été fort bouleversé ces temps derniers ; il faudra bien de 3 à 6 mois pour que les analystes refassent leurs calculs en tenant compte des nouvelles données. Les investissements vont privilégier les secteurs défensifs (services collectifs, pharmacie) et les sociétés qui peuvent vivre sans le financement bancaire pendant plusieurs mois (télécoms, santé, technologie).
Le redressement des banques sera très lent cette fois-ci. L’observation du Libor, baromètre des prêts entre banques, permettra de voir à quel rythme les banques se reprêtent entre elles. Une possible baisse des taux administrés par les banques centrales – maintenant que l’inflation menace moins, récession et chute du pétrole obligent – permettra de repentifier la courbe de rémunération du risque. C’est cette pentification qui permet aux banques de générer du profit, rémunérant les dépôts sur le court terme, tandis qu’elles prêtent à taux plus élevés sur le moyen et long terme. La Banque Centrale Européenne va-t-elle poursuivre la baisse de ses taux entamée conjointement avec les autres ? Et quand ? Quoi qu’il en soit, les actionnaires des banques n’auront pas l’intégralité des bénéfices. Les anglaises, renflouées par l’Etat, devront rémunérer les actions privilégiées à 12% l’an au Royaume-Uni ; elles deviendront des actions ordinaires au bout de 5 ans, ce qui diluera les autres.
Nombre d’économies fragiles vont être soumises à soins dans les mois à venir. L'Islande certes, mais déjà la Hongrie, plus tard l’Europe de l'Est très dépendante des investissements étrangers qui vont diminuer. La Russie, malgré son pétrole et son gaz, n’est pas florissante ; son autoritarisme d’Etat et son capitalisme d’oligarques n’incitent pas à créer là-bas de nouvelles entreprises ni à investir dans les entreprises existantes. Les entreprises locales ont largement emprunté sur les marchés extérieurs, il faudra assurer le service de la dette alors que la croissance diminue partout.
De façon générale, nous ressentons le changement de monde. Les États reviennent, sans qu’on puisse évoquer le « socialisme » - disons qu’ils sont prêts à faire enfin leur travail : réguler et contrôler les banques et les pratiques financières. La mathématique appliquée à la finance recule en faveur d’une conception plus juste de l’économie, « science » pour méthode mais « humaine » pour réalité. Le récent prix Nobel délivré par la Banque de Suède à l’économie récompense Paul Krugman, plus soucieux d’observations des comportements que des modèles matheux.
Un signe que tout n’est pas redevenu comme avant et que les comportements de crise risquent de durer : le champagne. Les ventes ont baissé de 22 % en volume aux États-Unis au premier semestre, pour la première fois depuis 2001. L'arrogance des vieux hommes blancs conservateurs de Washington fera peut-être élire Obama aux États-Unis, malgré son handicap de couleur. Tout est désormais possible – et les marchés ont horreur de ces périodes où rien n’est prévisible.
Notre pronostic : retombée des marchés au printemps sur la réalité de la récession économique (double-creux), rebond en fin d’année, bien avant le rebond des économies (mi-2009 pour les États-Unis mais probablement mi-2010 pour l’Europe) et de l’immobilier (fin 2011 ?).