Forum réfugiés et FTDA : d’un marché à l’autre? par Sichem LISCIA

Publié le 29 octobre 2008 par Combatsdh

Le 22 octobre, le ministère de l'Immigration a rendu public la liste des six organisations qui ont décidé de postuler à l'appel d'offres pour l'information sur leurs droits des étrangers retenus. Parmi elles, deux sont spécialisées dans l'assistance des demandeurs d'asile et de réfugiés : France Terre d'asile et Forum Réfugiés.

Pourquoi ces associations postulent-elles et entrent en concurrence avec la Cimade, dont elles sont à l'origine issues tout en lui rappelant à longueur de communiqués leur " solidarité" et leur " fraternité "?

Une analyse de l'économie de l'asile apparaît nécessaire pour expliquer ce choix.

Ce billet apporte un éclairage nouveau sur la candidature de Forum réfugiés et de FTDA au marché de la rétention. Il a été rédigé par un spécialiste du droit d'asile sous un pseudonyme. Du marché de la " crise de l'asile " à la crise du marché de l'asile.

Il y a dix ans, le système français d'asile est entré dans une " crise " : après un étiage en 1996 où seules 17 000 demandes avaient été enregistrées à l' OFPRA, la demande a augmenté de 20%chaque année pour atteindre 52 000 en 2003. L'OFPRA et la Commission de recours des réfugiés (devenu depuis Cour nationale du droit d'asile), aux effectifs réduits, n'ont pu faire face à cette augmentation et ont allongé leur délai d'instruction. Le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile a alors explosé car les crédits budgétaires accordés à l'asile étaient trop peu importants.

Le gouvernement a commencé à réagir en créant massivement des places CADA : de 2 000 en 1996, on est passé à 21 000 en 2008. Ce sont également mises en place à compter de 1999 des structures de premier accueil (les plates-formes d'accueil) visant à assurer le suivi social et juridique des demandeurs d'asile dans l'attente hypothétique d'une place dans un des centres.

Les budgets consacrés à l'accueil des demandeurs d'asile ont donc explosé : de 800millions de francs (123 M d'euros) en 1997, on a atteint plus de 300 millions d'euros en 2002.

Parallèlement, l'État a profondément modifié ses relations avec les associations. D'une cogestion avec les associations réunies dans la Coordination réfugiés, on est passé à une logique d'opérateurs et mise en concurrence des structures. En particulier, l'Etat fit appel à la SONACOTRA, société d'économie mixte sous tutelle et à l'AFTAM pour mobiliser leur parc de foyers et les transformer enCADA.

France terre d'asile et Forum Réfugiés qui avaient été créées comme des instancesinterassociatives,menaient leur action essentiellementsur fonds publics, sans militants et sans ressources propres. Le déblocage massif de crédits pour l'accueil des demandeurs d'asile les conduisit à accepter cette nouvelle logique pour assurer leur extension. France Terre d'asile qui coordonnait le dispositif national d'accueil, se vit retirer cette mission après un audit de l'IGAS mais mena une véritable politique commerciale pour démarcher les DDASS, qui avaient reçu injonction d'améliorer l'accueil des demandeurs, avec différents produits (plate-forme d'accueil, CADA, dispositif d'insertion des réfugiés). En conséquence, elle ouvritde nombreux CADA et plates-formes d'accueil (2 900 places CADA). Forum Réfugiés resta dans le Rhône en créant différentes structures pour assurer le suivi longitudinal des demandeurs (plate-forme d'accueil, centre de transit, hébergement en hôtel, CADA, CPH, suivi des réfugiés).

Le résultat fut un développement important pour ces structures : FTDA vit son budget exploser (4 M€ en 2002 37 M€ en 2007) Forum Réfugiés qui avait un budget de 4 millions d'euros en 2000 passa à 8 millions en 2002 puis 13M€ en 2006. En termesde salariés, FTDA passa d'une cinquantaineen 2000 à plus de 467 en 2007; Forum réfugiés de 50 à 100.

evolution_places_cada_1992-2005.1225628613.pdf

Mais comme les bulles financières, cette extension massive n'est pas éternelle. La politique du gouvernement d'assainir les procédures d'asile par le déstockage des dossiers à l'OFPRA et à la CRR ainsi que les mesures prises pour renforcer les contrôles à la frontières conduisirent à une baisse importante des demandes d'asile en 2005-2007 (-50% sur la période).Parallèlement, le gouvernement poursuivait la création de places CADA mais privilégiait des opérateurs comme la SONACOTRA et l'AFTAM qui disposent du parc CADA les plus importants (6 000 places et 3000 en 2007).

FTDA et Forum réfugiés ont alors eu une double stratégie : institutionnelle, en étant nommées aux conseils d'administration de structures étatiques (OFPRA pour Forum Réfugiés et ANAEM pour FTDA. Forum Réfugiés a crée un bureau parisien pour peser nationalement) et de diversification(FTDA intervenant médiatiquement et de façon opérationnelle sur le squat de Cachan et en modifiant ses statuts en janvier 2008pour s'intéresser aux migrants, Forum Réfugiés en intervenant au Maroc pour le HCR en lieu et place de la Cimade, en prônant la réinstallation des réfugiés et en participant à la commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour).

Mais c'est la mise en place de la réforme du dispositif national d'accueil qui a muri ce processus de diversification. La loi a confié la coordination du dispositif à l'ANAEM et en 2008, il lui a été demandé d'enregistrer directement les demandes d'admission en CADA dans plusieurs régions. En outre, la régionalisation des admissions au séjour a été le prétexte pour les fermetures de plates-formes d'accueil départementales. De 67 structures, chargées de cette mission, le gouvernement veut passer à 27. Cela se traduit dans les crédits budgétaires. Les plates-formes d'accueil passent ainsi de 5,2M€ en 2008 à 3 en 2009. L'hébergement d'urgence passe quant à lui de 44M€ en 2005 à 30 en 2009. Si les plateformes régionales et des métropoles sont toujours en place, cette diminution drastique va conduire FTDA et Forum réfugiés à diminuer leurs budgets et leurs effectifs salariés (pour FTDA, fermeture de 10 plates-formes d'accueil). Le communiqué de presse de FTDA du 29 octobre 2008 montre cette inquiétude.

La rétention, un marché d'avenir

Le " marché de l'asile " arrivant à maturité et l'Etat privilégiant des opérateurs paraétatiques, les possibilités de développement sont donc rares. Dans le même temps, la politique d'objectifs chiffrés de reconduite à la frontière a développé les centres de rétention administrative (739 places en 2003, 1724 fin 2007) et les crédits d'assistance aux étrangers retenus (1,8M€ en 2005, les crédits sont passés à près de 5M€ en 2008-2009, voire 7 dans les années à venir). Jusqu'alors, le dispositif réglementaire ne prévoyait qu'une association à caractère national mais dès 2007, le ministère de l'immigration n'a pas caché sa volonté de réformer pour ouvrir à la " diversité " d'autant plus que la Cimade dénonçait les conséquences de cette politique du chiffre. Le décret du 22 août2008 et l'appel d'offres du 28 août 2008 ont été conçus pour cette opération.

En postulant pour deux lots chacun, les deux structures espèrent combler en partie la suppression des plates-formes d'accueil mais se place également dans une perspective d'avenir :

  • elles peuvent compléter leur intervention au bout de la chaîne de l'asile, une partie des retenus étant d'anciens demandeurs d'asile (mais pas la majorité);
  • Elles peuvent anticiper le placement plus systématique de demandeurs d'asile en centres fermés que permet la directive retour;
  • Elles peuvent faire valoir leur expérience de gestion d'un lieu d'hébergement des demandeurs d'asile pour se voir confier, à moyen terme, la gestion hôtelière des CRA. La RGPP a en effet prévu de l'externaliser car son coût est trop élevé (38€ par jour et par personne contre 26€ en CADA).
  • Elles peuvent faire valoir leur expérience en matière de réinstallation des demandeurs d'asile (point commun d'ailleurs avec l'Ordre de Malte)

Pour cela, les deux structures ont dû modifier leur discours, naguère très hostile aux migrants (qualifiés de " faux " demandeurs d'asile) pour se présenter comme les défenseurs de l'intérêt des retenus. Ces circonvolutions rhétoriques cachent mal les enjeux économiques pour ces structures.