La critique
Un accident, la nuit. Un jeune homme meurt, une jeune femme (Jacqueline Sassard) sort de la voiture. Sous le choc, elle porte une robe blanche qui ressemble fortement à celle d’une mariée. Un homme arrive à la rescousse, le professeur Stephen (Dirk Bogarde). Flashback : l’université, Stephen est marqué par l’arrivée d’une nouvelle étudiante autrichienne. Elle s’appelle Anna et elle sent le sexe a des kilomètres. Stephen étant marié, il ne peut que refouler son ardent désir pour son étudiante. Cette dernière séduit alors en toute liberté un autre étudiant, proche de Stephen, le candide William. Alors qu’il organise un déjeuner chez lui, en présence de sa femme, Stephen invite Anna et William ainsi que son collègue prof, Charley (Stanley Baker). Il va apprendre par la suite que Charley et Anna ont une liaison. Qui est donc cette femme ? Quelles sont ses intentions ? Stephen va-t-il perdre pied ?
Accident fait partie des films de Joseph Losey qui relatent de la destruction d’un être par un autre. La figure du mal et du vice ici n’est autre qu’Anna. Belle, sensuelle, à la jeunesse insolente, elle déploie son aura et fait tourner la tête des hommes d’un battement de cil. Jamais nous ne saurons ce que cette petite nymphette avait en tête. Cruelle elle l’est, mais saisit-elle vraiment les conséquences de son perpétuel jeu de séduction ? Considéré comme un des films majeurs de son réalisateur (pour certains il s’agit même de son chef d’œuvre), Accident bénéficie de la plume de Harold Pinter au scénario (qui avait déjà collaboré avec lui pour The Servant). Le début est archi énigmatique : un long plan sur la façade d’une maison, un bruit d’accident, une succession de scènes brèves avec l’apparition d’Anna. Ce n’est que le début du malaise pour le spectateur. Tout le scénario et la mise en scène vont jouer avec le temps qui est au passage un personnage de l’intrigue à part entière.
Stephen est un homme rangé. Sa femme est sur le point de tomber à nouveau enceinte (ils ont déjà deux enfants), son travail de professeur tourne un peu à la routine. Les plans sur les horloges se multiplient pour montrer la terrible épreuve du temps. Face à Anna, Stephen réalise qu’il n’est plus un jeune homme, que tout n’est plus possible. Et comme un couteau dans la plaie s’affiche sa relation d’amitié avec Charley. Ce dernier, lui aussi marié, vit sans état d’âme une relation avec Anna. La scène où Stephen découvre leur liaison est un modèle de tension et de non dits. Stephen fait son omelette, Charley lui lit une lettre (que la femme de Charley a écrit à Stephen) avec une désinvolture sidérante, Anna est plantée à table, indifférente… Charley est un vautour. Mais pour la peine il représente tout ce que Stephen n’est pas et aurait peut être voulu être. Charley passe à la télévision, ce qui lui donne un certain prestige, et renvoie à Stephen une dévalorisation de ses capacités. C’est ainsi qu’il décide de tenter sa chance pour participer à une émission avant d’être gentiment remercié. Mais de voyage en ville pour l’occasion, il retrouvera une femme qui a marqué sa vie, Francesca. Ses retrouvailles sont une des marques les plus importantes du temps qui passe, d’une nostalgie destructrice et de rêves révolus. Delphine Seyrig , onde sensuelle, passe comme un fantôme avec quelques échanges en voix off. On n’en finit plus d’être troublé.
Désirs et jalousies, Accident est un film habile et cruel porté par un casting irréprochable. Joseph Losey signe un véritable chef d’œuvre où chaque scène est un malaise supplémentaire, un voyage perturbant au cœur du désir et de la frustration. Anna poursuivra sa route, laissant les hommes face à leur mal être et leur hypocrisie. Ils ne finirent pas ensemble et ne seront jamais heureux.