Arlington Park Traduction : Justine de Mazères
Commençons, si vous le voulez bien, par les qualités de ce livre. ;o)
Tout d'abord, le sens du portrait de son auteur dont l'analyse des caractères est souvent subtile. Rachel Cusk plonge et approfondit, scrute pratiquement à la loupe la moindre parcelle de la personnalité de ses héroïnes.
Ensuite, le don réel de suggérer ce qu'elle ne dit pas un peu comme le faisait la regrettée et inégalée Katherine Mansfield.
Et puis - j'en suis désolée - nous nous arrêterons là pour les compliments.
Car je n'ai toujours pas compris comment on pouvait - comment on osait - qualifier "Arlington Park" de roman. En fait, il s'agit d'une suite de nouvelles plus ou moins longues et évidemment inégales tournant autour des désillusions de cinq femmes mariées. Le fond est féministe et, si l'auteur parvient à éviter la caricature, elle ne fait pas non plus oeuvre originale.
Le mariage d'abord, l'égoïsme du mari en matière de tâches ménagères (à l'exception de celui de Christine, je crois, mais, manque de chance, celui-là , Rachel Cusk laisse entendre qu'il fait du racisme primaire), l'ingratitude des enfants et leur égocentrisme, l'esclavage inhérent à la condition féminine, de quelque côté de la planète qu'on se trouve, voilà les grands thèmes. Certes, ils existent mais il n'y a ici aucune flamme pour les attaquer ou les railler - et ça fait une sacrée différence.
Rien de nouveau donc sous le soleil - ou plutôt sous la pluie car il pleut beaucoup sur Arlington Park, élément naturel que Cusk dépeint, je l'admets, avec cette passion unanimement partagée par les Celtes et les Anglo-Saxons.
En outre, il n'y a pas d'intrigue. Les personnages se rencontrent, échangent leurs points de vue, vont faire quelques courses, etc ... Tout cela dans le cercle circonscrit d'Arlington Park. Ces dames se plaignent, pleurent, estiment leur vie ratée, ne se projettent que dans un avenir lui aussi borné et puis voilà.
D'abord incrédule, puis impatient et enfin résigné, le lecteur accueille la dernière page avec une indicible sensation de soulagement. (En poche, de toutes façons, cela vous fait 263 pages.) Ouf ! Il a quand même lu le livre recommandé, dans un choeur parfait, par les libraires français. Il en vient à se demander si lesdits libraires, eux, l'ont bel et bien lu jusqu'au bout - pour moi, je vous le dis, j'en doute fort - mais ça, c'est une autre histoire ...
Roman et nouvelle, on ne le répétera jamais assez, sont deux arts diamétralement opposés. Si la seconde peut se contenter de suggérer à traits si fins qu'ils finissent par ressembler à un filigrane, si elle n'a pas non plus besoin d'une intrigue cohérente et/ou complexe, le premier, au contraire, exige profondeur, véhémence, difficultés, avec des personnages qui ne passent pas trois cents pages à discourir sur les beautés de leur nombril, et une, voire des intrigues solides, cadencées avec, au minimum, un ou deux rebondissements.
Rachel Cusk n'est pas une romancière. Elle n'en a ni le souffle, ni la carrure, ni l'art du récit. En revanche, en tant que nouvellistes, elle a toutes ses chances - pourvu qu'elle travaille aussi durement que le firent un Tchékhov, une Mansfield ou un Maugham. Pour l'instant en effet, elle est en devenir, c'est tout. ;o)