à la Biennale de Venise jusqu’au 21 Novembre.
Après l’amour, le corps, la guerre, la douceur, un peu d’ironie ?
Reconstruire une favela en briques au milieu des Jardins, est-ce de l’ironie ? Pendant que vous sirotez un Coca, le peuple des bidonvilles à deux pas vous contemple. On le retrouve ici et là, au gré des promenades. Des cahutes bancales, des enseignes, un fouillis, un empilement. Comme là-bas; c’est le travail du groupe brésilien Morrinho.
L’ironie, c’est aussi ne pas savoir où l’on est, ce que l’on voit. Le pavillon trop excentré de l’Azerbaïdjan, titré Omnia Mea, permet de belles découvertes hors des sentiers battus. A côté d’une belle pièce onirique d’Ali Hasanov (Keelcoushe), j’ai beaucoup aimé l’installation de Rashad Alakbarov, Looking at two cities from one point of view. Sur une idée qui rappelle Mounir Fatmi, l’artiste a empilé sur une table des objets divers, planches, boîtes. Un projecteur s’éclaire, et l’ombre de ces objets au mur est la “skyline” d’une ville occidentale, gratte-ciels d’une mégalopole effrénée. Quand l’autre projecteur, perpendiculaire, s’allume, vous voyez en ombres une ville orientale, coupoles et minarets, nonchalance et humanité. Orient et Occident, modernité et tradition, démocratie et religion, terrorisme et raison d’état, chacun de nous peut, selon son point de vue y projeter ses visions, ses fantasmes, ses préjugés. Avec trois fois rien et un clin d’oeil, Alakbarov nous ouvre le monde.
L’ironie, c’est sûrement un respectable professeur belge discourant doctement de tout sujet et nous perdant dans son labyrinthe où nous nous cognons sans cesse aux parois de verre, aux évidences. C’est le Palais des miroirs et des Découvertes du Belge Eric Duyckaerts (qu’on peut encore voir quelques jours encore chez Perrottin à Paris).
Etre un petit Coréen maigrelet au pays des gigantesques athlètes de base-ball et prendre sa revanche en construisant des auto-squelettes surdimensionnés, est-ce de l’ironie ? C’est en tout cas doux-amer. Les loupes grossissantes pour rendre vos organes plus grands sont des outils thérapeutiques, une chirurgie esthétique du pauvre. A côté, le crâne géant est aussi un outil d’autosatisfaction : nous sommes aussi grands, aussi forts, aussi puissants, aussi intelligents qu’eux. C’est The Homo Species, de Hyungkoo Lee.
Enfin, l’installation Deadly Sins en lumière noire de Kendell Geers dans le pavillon africain permet (involontairement) une ironie aux dépens du spectateur, ou plutôt de la spectatrice; je ne sais pas résister à ces blagues débiles.
Pour terminer, voici un extrait d’une lettre de 1547 que l’Arétin (55 ans) écrit au Titien (57 ans) pour l’inviter à une partie fine : “Une paire de faisans et je ne sais quoi d’autre vous attendent à dîner, en même temps que la signora Angiola Zafetta et moi; alors venez donc, car, en nous voyant prendre continuellement du bon temps, la vieillesse, espionne au service de la mort, ne rapportera jamais à sa maîtresse que nous sommes vieux.” Ironie vénitienne douce et si peu amère.
Photos Geers et Morrinho par l’auteur. Photos Lee et Alakbarov par scan de documents. Photo Duyckaerts courtoisie de la Biennale et de la galerie Emmanuel Perrottin, par Florian Kleinefenn (AIA Productions).