Une femme peut en cacher une autre. On attendait Ségolène Royal, le congrès de Reims pourrait bien signifier le sacre de Martine Aubry. A quelques jours de cette échéance majeure pour la vieille et vermoulue maison socialiste, la Maire de Lille pourrait bien prendre le dessus sur ses concurrents. En tout état de cause, elle est déjà au cœur de toutes les tractations.
Martine Aubry a le sourire. La fille de Jacques Delors semble puiser dans l’interminable campagne interne socialiste de nouvelles forces. La force du terrain diront ses supporters. Celle de multiplier les déplacements et rencontres avec les militants de base et leurs préoccupations parfois terre à terre qui ne lui sont pas inconnues dans son poste de premier magistrat de la bonne ville de Lille.
La force de réussir à faire vivre une alliance que ses adversaires décrivaient à La Rochelle comme une alliance de la carpe et du lapin. De la carpe et des lapins plutôt. Martine Aubry réussit pleinement dans son rôle de pivot entre les troupes fabiusiennes à sa gauche et, à sa droite, avec une partie des Strauss-Kahniens emmenés par Jean-Christophe Cambadélis. Quelle meilleure carte de visite pour quelqu’un qui aspire à faire vivre le PS dans sa diversité et à le faire travailler en collégialité ?
Face à elle, Bertrand Delanoë après un départ en fanfare peine à trouver son second souffle. La mayonnaise a bien du mal à prendre, gâchée par une allusion hasardeuse au libéralisme. Faute de pouvoir gagner, le Maire de Paris risque d’être contraint à conclure des alliances. Fin renard Laurent Fabius qui craint de voir se déplacer le centre de gravité vers la droite fait des appels du pied à destination de Benoît Hamon qui conduit la motion de l’aile gauche du PS. Dimanche 26 octobre, il lançait sur radio J un appel au rassemblement en rappelant que « Ses thèses sont très proches des nôtres ». De quoi susciter quelques crispations chez les strauss-kahniens résolument attachés à leur ligne sociale-démocrate.
Quand la famille est susceptible de se disputer, Martine arbitre. Elle a commencé à le faire mardi 28 octobre en déclarant lors d’une réunion publique à Clamart « On ne veut pas être à la gauche du PS, on veut un PS à gauche ». L’ancienne ministre du travail est persuadée que l’actuelle déserrance du PS est le fruit de la distance prise avec les fondamentaux de la gauche. “Nous avons été tentés d’abandonner nos valeurs pour plaire”. Ce qui était présenté par la droite comme son principal défaut, voir de la ringardise, se révèle être aujourd’hui son principal atout. Oui, Martine Aubry revendique un Etat fort, interventionniste, régulateur.
La période s’y prête bien. Jack Lang, homme du Nord par accident, ne s’y est pas trompé. « J’ai beaucoup d’amitié pour Bertrand Delanoë. Beaucoup de respect également mais je pense que Martine Aubry incarne mieux que quiconque la réussite sociale et économique, l’idée même du retour de l’Etat et une volonté forte de restaurer la puissance publique, alors que nous vivons une crise sans précédent.»
Nicolas Sarkozy non plus qui tente de faire oublier qu’il se faisait encore il y a quelques mois le chantre du modèle américain. De là à dire que la fille de Jacques Delors et Nicolas Sarkozy ont des convergences de point de vue, il y a un monde. Subrepticement, Martine Aubry vole à Ségolène Royal le rôle de première opposante à Nicolas Sarkozy.
Sur la question du logement, l’ancienne ministre des Affaires sociales s’est prononcée en faveur des “réquisitions de terrains” par les préfets “pour construire des logements sociaux là où c’est possible”. Sur le dossier du travail le dimanche, l’ancienne ministre du travail est farouchement opposée.
Les annonces du Chef de l’Etat en faveur de l’emploi n’ont guère trouvé plus de grâce. « Quand Nicolas Sarkozy veut aider les banques, il trouve des idées, mais quand il s’agit d’aider les salariés, les retraités, les locataires, il est très inactif » s’est insurgée la Maire de Lille.« En annonçant 100.000 emplois aidés supplémentaires pour 2009, le chef de l’Etat “ne fait que remettre aujourd’hui ce qu’il avait décidé de supprimer il y a trois semaines, autant dire que c’est une mesure pour rien et un peu de bricolage quand même par rapport à l’ampleur de la crise », a déclaré Mme Aubry sur Canal +.
Pour une fois la critique socialiste se complète de contre-propositions : « Il fallait prendre des mesures pour augmenter le pouvoir d’achat, il fallait relancer le budget du logement et ne pas nous annoncer deux mesurettes qui sont du bricolage ». La tête de liste de la motion D du PS préconise entre autres une augmentation des allocations familiales et du Smic mais aussi, une mise entre parenthèses du bouclier fiscal, ou encore la suppression d’une partie des 20 milliards de niches fiscales. Toute la force de Martine Aubry réside dans cette capacité à faire du neuf avec du vieux, à incarner une alternative tant au libéralisme actuel qu’au Chef de l’Etat. N’est-ce pas après tout dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe ?