Pour le démocrate européen, le referendum irlandais n'a rien d'un test démocratique valide, même s’il est juridiquement incontournable. En démocratie à 27, chaque Etat a son tour pour négocier ses intérêts: l'Irlande (comme la France...) s’est fait entendre par les 26 autres, chaque Etat a payé pour les intérêts irlandais et réciproquement. Puis l’Irlande a signé le Traité à l'issue de la conférence intergouvernementale. Le second tour que constitue le referendum national (dans un système à l’unanimité) est un déni de démocratie européenne et de responsabilité collective! Si chacun négocie une fois en tant qu'état souverain, puis une seconde fois, après accord, en tant que peuple souverain, plus rien n'avance en Europe.
Ou bien, lecture plus grave, l'Etat joue double jeu. Autrement dit, la superposition des souverainetés (gouvernementale au plan européen, populaire au plan national) est un non sens et une prime au moins cohérent et au moins fiable des partenaires. C’est pourtant l’exact état de la situation où les gagnants sont ceux qui rompent le pacte tout frais signé, les champions des renégociations, opt-outs etc... Oui, cela pose problème que 4 millions d’européens bloquent près de 500 millions d’autres.
Encore plus surprenant, le gouvernement irlandais se serait senti obligé de financer la campagne pour le oui et le non ! Comme si l’Etat signataire était neutre et ne s’était pas engagé vis-à-vis des 26 autres, lors de la signature. La méthode est donc un non sens démocratique. Invariablement, on observe après coup que l’Etat qui a organisé un referendum national perd, avec le Non, quelques avantages déterminants pour lui : le Non au traité de Lisbonne faisait perdre à la France un rééquilibrage bienvenu des votes au sein du Conseil (Nice avait été un désastre) ; l’Irlande fait face aujourd’hui à la perte imminente de « son » commissaire si le traité de Nice reste la base. C’est la preuve que la machine à consensus européenne a bien fonctionné et que les intérêts nationaux avaient été pris en compte[1].
La renégociation d’un traité déjà reformaté est une solution peu crédible, alors que 23 états se sont prononcés, et l’opinion se lasse des bricolages à répétition. Des solutions existent et elles sont connues: la rupture de méthode pourrait être dans un referendum paneuropéen, permettant des dialogues inter-frontières entre forces politiques proches et entre relais d’opinion à l’échelle adéquate. Car le referendum national est devenu un instrument de détricotage du processus européen: c’est une machine à fabriquer une opinion publique contre les autres. Au point de tenter d’autres états. Au prix de mensonges gros comme des maisons : autrefois en France, c’était le divorce qui allait être interdit par l’Union européenne ; aujourd’hui en Irlande, c’est avec l’avortement qu’on assassine les valeurs de la société irlandaise. Le grotesque n’échappe à personne mais le mensonge a payé : il a suffi de monter un théâtre d’ombres le temps d’un vote, rien de plus. Aucun compte ne sera demandé à ceux qui ont diffusé ces mensonges.
Les propositions d’organiser une telle consultation paneuropéenne en même temps que les élections au Parlement européen ont été faites à multiples reprises. Certes, il faudrait réunir plusieurs conditions démocratiques pour échapper aux simulacres actuels, tout particulièrement la constitution de listes transnationales et la conduite de vrais débats paneuropéens. Il faut en effet sortir des campagnes repliées sur l’espace local et le devenir d’élus liés avant tout à l’espace politique national. Le changement de paramètre ne sera pourtant possible qu’en changeant les méthodes toutes ensemble, autant que possible.
Plus encore que la question du referendum, l'unanimité à 27 est une prime à l'irresponsabilité, sans sanction aucune sinon sur le dos de … tous les autres. Il faut donc revenir à la raison et décider qu'il est impossible de progresser dans tous les domaines tous ensemble. Il faut redécouvrir que l’Europe est un acte volontaire de souveraineté et ce, à travers l’Europe des cercles. L’Europe des « coopérations renforcées » sur des politiques concrètes comme une défense européenne, une politique environnementale à l’échelle du continent , … est aujourd’hui la seule capable de convaincre les opinions qu’elle est « démocratique ». Mais cela suppose de renoncer, pour préserver l'unité ou maintenir un Etat dans la structure, à tout bloquer ou encore pire à faire des cadeaux supplémentaires et accorder des choses qui ont été refusées à d'autres.
Il est clair que les vieux modes de faire sont aujourd’hui épuisés et qu’il faut changer de paramètre. A 27, la majorité qualifiée est la seule méthode viable, d’autant que les besoins d’Europe sont pressants : énergie, environnement, régulation financière… On ne peut continuer dans ce non sens démocratique.
Catherine Montfort
Sauvons l'Europe Bruxelles
Août 2008[1] En outre, pour la première fois, le traité prévoit une clause de sortie qui confère aux Etats membres le droit de se retirer de l'Union européenne