Episode 33
Où le fait d’être un Espion Royal se révèle finalement être quand même une grande qualité
Pendant que Madame la Bourgmestresse invitait son petit monde à faire ripaille et que notre héros princier se demandait –une fois de plus- comment il allait vaincre ce nouvel obstacle, Atarax arpentait les rues de Déprime-Sur-Boulot à la recherche de son royal maître. Il avait réussi à semer le Prince mais il se trouvait maintenant dans une impasse totale : comment retrouver la trace de ce dernier quand il avait mis toute son ardeur à la perdre ? Dans ce désastre, il y avait pourtant un point positif : depuis qu’il avait jeté son portable dans le fleuve Boulot, il ne craignait plus de l’entendre sonner tous les quarts d’heure ; finies les sueurs froides, les injures et les ordres –au mieux- contradictoires de sa Majesté Xanaxa et fini le harcèlement. Atarax respirait et, planté sur la grand-place, face à la mairie, se livrait à grandes inspirations et expirations, lesquelles étaient destinées à oxygéner son cerveau afin que ce dernier fonctionnât à nouveau avec sa célérité coutumière.
Il en était à quatre-vingt-dix huit inspirations expirations lorsqu’une sonnerie de téléphone retentit. Atarax n’y prit pas garde. Un des habitants de Déprime-sur-Boulot entra dans la cabine installée au milieu de la place, décrocha, prononça quelques mots, puis ressortit et se dirigea vers l’espion royal qui avait retrouvé toute son énergie. « Téléphone pour vous », lui dit-on et on tendit le bras vers la cabine. Atarax s’étonna. « Pour moi ? Vous êtes sûr ? » « Ben, un individu à l’air louche et stupide, vêtu comme l’as de pique, avec une tête grosse comme une citrouille, c’est bien vous, non ? » « Certes », fit Atarax, désorienté. « Alors, c’est pour vous. » Et le pauvre Espion Royal fut poussé sans ménagement dans la cabine. « Allo… » commença-t-il et il ne put aller plus loin. « ATARAX ! rugit la douce voix de Xanaxa. VOUS AVEZ OSE FLANQUER VOTRE PORTABLE DANS LA FLOTTE POUR NE PLUS M’ENTENDRE ! C’EST UN CRIME DE LESE MAJESTE ET VOUS EN RENDREZ GORGE LORSQUE VOUS REVIENDREZ ! JE VEUX QUE… » et Atarax n’entendit pas la suite parce qu’il s’était évanoui.
Pendant ce temps, chez Madame La Bourgmestresse, le repas allait bon train. On s’empiffrait élégamment tout en devisant fort joyeusement. Malgré son œil au beurre noir et son caractère de chien, Citalopram-Beurk paraissait ravie de pouvoir enfin laisser libre cours à sa passion pour le beau Zoloft, lequel ne se privait pas d’embrasser sa fiancée un peu n’importe où dès que l’occasion se présentait. Dame Athymil essaya bien de s’opposer à ces familiarités, mais le souvenir de ses propres fiançailles avec son époux la rendait un peu égrillarde. Aussi se contenta-t-elle de quelques remarques débonnaires qui n’eurent, bien entendu, aucun effet.
Les deux seuls à ne point faire honneur à ce magnifique festin étaient Lexomil et Séropram. Citalopram-Biogaran, d’un naturel optimiste, était persuadée que tout allait s’arranger pour le mieux et s’adonnait au plaisir de la gourmandise avec enthousiasme. Séropram soupirait toutes les trente secondes en pensant à l’horrible mari qui allait bientôt lui échoir, et Lexomil se demandait avec désespoir comment il allait bien pouvoir persuader sa future belle-mère qu’il n’était ni un mendiant, ni un fou en liberté. « Mais suis-je bête ! » s’écria-t-il tout à coup en se tapant le front. Dame Athymil n’entendit point les paroles mais vit le geste. « Vite, s’écria-t-elle. Le fou se flanque des baffes ! Arrêtez-le avant qu’il ne tape ses voisins ! » On se jeta sur Lexomil. Beurk proposa de le ligoter ; Zoloft de l’enfermer ; Séropram de le charmer en lui chantant une chanson. Dame Athymil proposa une gifle, puisque, « apparemment, se frapper lui fait du bien ». Pour une fois, la réaction de Lexomil fut exactement celle qu’il fallait avoir dans ces circonstances. Il se garda bien de se débattre, resta parfaitement tranquille, et au bout de cinq minutes d’un calme total, Madame la Bourgmestresse le déclara guéri de sa crise. On le libéra et on retourna s’empiffrer.
« Mon geste n’était dicté que par l’émoi, expliqua tout à coup Lexomil. Je me suis souvenu que j’avais dans ma poche mes papiers d’identité, mon passeport. Si Dame Athymil veut bien me permettre de les lui présenter, elle verra que je suis bien le Prince Lexomil. » « Je suis une spécialiste des faux papiers, dit la Bourgmestresse. Je saurai tout de suite si ce sont des vrais ou non. Donnez votre portefeuille au portefaix et que ce dernier m’amène le premier. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Le passeport de Lexomil atterrit bien vite entre les mains de Dame Athymil qui n’y jeta qu’un coup d’œil. « Faux ! » fut sa Parole. Elle tomba dans un silence atterré (Lexomil et Biogaran) et réprobateur (les autres). « Mais il y a le cachet du Palais Royal, plaida Lexomil. Et le sceau royal. Et puis, vous voyez bien que c’est moi, sur la photo. » « Jeune homme, ce gamin à l’air ahuri ne vous ressemble que de très loin, dit madame la Bourgmestresse. Et si cette grosse matrone est la Reine, moi je suis son chambellan. » « Elle a beaucoup maigri depuis, dit Lexomil, pensant que cette précision était importante. Et moi j’ai vieilli, ce qui est normal. Et puis, j’ai quitté mon air niais. » Séropram s’était levée et contemplait la photo par-dessus l’épaule de sa mère. « Pourtant, mère, il me semble que, par moments, notre fou a encore cet air idiot, remarqua-t-elle. C’est peut-être notre Prince héritier, qui sait ? Vous devriez prendre quelques renseignements. Nous aurions bonne mine, si vous aviez traité notre futur roi comme un enragé de la camisole. »
Au même moment, Atarax, qui avait repris ses esprits au milieu de la diatribe royale sortait de la cabine avec l’ordre de se rendre au domicile de la Bourgmestresse et de lui demander son aide pour retrouver le Prince, « puisque vous êtes incapable de le trouver tout seul ».Après s’être égaré pour rien dans les couloirs de la Mairie, Atarax réalisa que Dame Athymil avait séparé, dans le domaine de l’habitation, le travail et la vie privée. Ayant obtenu d’un huissier l’adresse de la Bourgmestresse, il se mit en route et sonna quelques minutes plus tard au domicile de la Première Dame de Déprime-sur-Boulot. Un domestique l’introduisit auprès des convives. « Atarax ! » s’écria Lexomil en se levant d’un bond. « Votre Altesse ! » s’écria Atarax en tombant à genoux. « Allons bon, dit Dame Athymil. Un autre fou. Aurais-je donné l’ordre d’ouvrir les grilles de l’asile psychiatrique ? »
« Mais non, mère, dit Beurk en trépignant. Je le reconnais, j’ai vu sa photo dans le journal. C’est l’Espion Royal, celui qui est chargé de suivre le Prince partout où il va. » Dame Athymil chaussa ses lunettes et contempla Atarax, toujours à genoux devant son futur souverain. « Mais par ma foi, c’est vrai ! dit-elle. Je le reconnais également, je l’ai vu à Coup Dur ! Relevez-vous, mon bon. Vous n’êtes pas à la cour. » « Je m’incline devant son Altesse Royale », répondit Atarax en désignant Lexomil, toujours debout. Citalopram-Biogaran battit des mains. « Ainsi, c’est vrai, c’est vrai ! Vous êtes le Prince héritier ! Et vous m’aimez ! » « Oui, à toutes les affirmations », dit Lexomil. Et il se précipita vers Biogaran, l’enlaça et l’embrassa –dira-t-on fougueusement ? Da. Fougueusement.
« Quel ennui ! fit la Bourgmestresse. J’ai traité mon futur roi de fou. Me voilà bien marrie. » « Ne vous inquiétez pas, belle-mère, rétorqua Lexomil, magnanime. Vous êtes largement pardonnée si vous m’accordez la main de votre fille. » « Vu l’état actuel des choses, je serais une grosse courge si je refusais, dit Dame Athymil. Vous avez sa main, son pied et le reste. Bon. Ca, c’est un bon jour. J’ai fiancé les jumelles et l’une d’elle va finir Reine de Déprime. Que demander de plus ? »
Pendant qu’on se congratulait, Séropram était allée relever le pauvre Atarax et lui proposait de s’installer près d’elle pour déguster le dessert qui s’annonçait. L’espion Royal, qui trouvait la demoiselle extrêmement séduisante, ne se fit pas prier. On mangea l’énorme gâteau au chocolat que le cuisinier avait préparé, on but un magnum de champagne, et quand chacun eut la tête bien tournée, Atarax demanda la main de Séropram, arguant qu’il avait eu le coup de foudre pour elle. « Accordé, fit la Bourgmestresse. Vous avez une meilleure situation que son précédent fiancé, vous êtes plus beau que lui ce qui n’est pas difficile, et ma fille aînée finalement parée du titre d’Espionne Royale est une éventualité qui ne me déplait pas. » « Oh, s’écria Séropram, en larmes, je suis heureuse, heureuse, heureuse ! J’en pleurerais. Adieu le nabot. » Elle se tourna vers Atarax, très ému lui aussi : « Je vous jure que je saurai être à la hauteur de ma tâche. » « Surtout que vous n’aurez rien à faire, Damoiselle, intervint Lexomil. C’est lui l’espion. Mais vous aurez bien sûr le titre. »
« Tant d’événements m’ont donné le tournis, dit Madame la Bourgmestresse. A moins que ce ne soit le champagne. Peu importe. Votre Altesse… » Elle se tourna vers Lexomil. « Ne faudrait-il pas avertir vos royaux parents de votre décision ? On ne sait jamais, ils peuvent être contre. » « Je me disais bien, aussi, que j’avais oublié quelque chose d’important, murmura Lexomil, déconfit. Mais ne craignez rien : ma mère désespère tellement de me voir un jour devenir normal qu’elle sera ravie de savoir que j’ai trouvé une femme à mon goût. » « Mais Biogaran n’est pas Princesse », dit Beurk, jalouse malgré tout que sa sœur fût destinée à monter sur le trône de Déprime. « Ca peut être un obstacle. » « J’ai le pouvoir d’anoblir qui je veux, dit Lexomil. Aussi fais-je à l’instant Damoiselle Citalopram-Biogaran Princesse de Coup-Dur. Un signe de croix sur le front, l’accolade, et le tour est joué. Atarax, vous consignerez l’événement sur votre carnet. » « Oui, votre Altesse », dit l’espion royal en sortant immédiatement un calepin de sa poche.
« Ah, ma fille, dit Dame Athymil, émue. Vous, Princesse de Coup-Dur ! Vous future Reine ! Quelle joie et quel honneur pour notre famille ! » « Mais comme je ne veux pas que la jalousie règne au sein de ma future famille, je fais Damoiselle Citalopram-Beurk Duchesse de Déprime et son fiancé Duc de Déprime, dit Lexomil très noblement. Atarax, notez. Signe de croix, accolade, vite ! » Atarax avait peine à reconnaître dans ce jeune homme autoritaire et sachant ce qu’il voulait le timide et velléitaire Lexomil. Au moment où il allait s’étonner à voix haute de ce changement, un domestique entra et avertit qu’une « folle qui se prenait pour la Reine Xanaxa demandait à parler à l’espion royal ou au prince héritier et ce dans la plus grande urgence. » Fallait-il l’envoyer paître ou l’un de ces Messieurs daignait-il prendre la communication ?
En voyant Lexomil rougir, verdir et soudain perdre toute contenance, Atarax comprit que ledi changement n’avait pas été si profond qu’il en avait l’air.
(A suivre)