Sarah Molina, jeune femme de 24 ans, a monté sa propre maison d’édition, Altal, en Savoie. Elle a édité son premier roman, L’indigeste, dans sa collection Litterae, arum. L’indigeste, c’est l’histoire d’une terrible descente aux enfers déjà bien entamée, celle d’une femme totalement déboussolée. Caissière dans un supermarché, elle vit dans un petit appartement situé dans un quartier populaire de sa ville. Narratrice de la première partie de ce roman, elle confie son dégoût pour son corps, qu’elle décide d’abandonner à une débâcle boulimique, sans plus se laver. Autant dire d’entrée de jeu que l’héroïne de Sarah Molina est loin d’être charmante. Et, si l’on a de la peine à s’y attacher, l’auteur réussit néanmoins à provoquer chez son lecteur un total dégoût pour son personnage.
Se livrant chaque soir à des orgies alimentaires, la narratrice se terre et ne sort de chez elle que lorsqu’il lui faut se rendre à son travail ou pour acheter de quoi bâfrer.
Au supermarché, elle a deux collègues. Une femme qui y travaille depuis de nombreuses années et dont l’attitude étrange laisse à penser qu’elle glisse vers une douce folie, ainsi qu’une jeune étudiante.
Aucune distraction, aucun plaisir, sinon celui de se goinfrer. L’héroïne de L’indigeste tombe dans une répugnante démesure. Et ce « régime » de sommeil et d’alimentation excessive la ravage tant qu’une lourde maladresse sur son lieu de travail provoque son renvoi immédiat. Sans plus aucune obligation, elle se laisse périr dans son petit appartement dont le sol est jonché d’emballages qu’elle jette négligemment après en avoir ingéré brutalement le contenu.
Apprenant son licenciement, l’aînée des deux collègues de la narratrice, Sylviane, prend la parole, pour la deuxième partie du livre, curieuse de connaître le quotidien de cette femme dont le physique monstrueux aimantait le mépris des regards.
Elle se rend au domicile de son ex-collègue et la découvre, gisant au milieu des restes de ses sordides bacchanales. Se sentant alors comme chargée d’une mission d’ange gardien, elle remet tout en ordre et se met à soigner cette bête ankylosée qui était la risée de tous.
Ceci complète la liste des invraisemblances du roman de Sarah Molina. Le problème est que cette jeune femme écrit de la manière la plus scolaire qui soit. Et ce style un peu précieux, qui est l’apanage de tant de néophytes, n’est pas à proprement parler ce qui sied le mieux à deux caissières provinciales. « Je gis, épave aboulique, avec une apathie morbide. » Difficile de l’entendre de la bouche d’une ogresse veule à l’appétit gargantuesque ; il ne s’agit pas de la concierge de Muriel Barbery... Sans véritable intrigue, cette histoire reste insipide. Et on a du mal à croire que Sylviane, la bienfaitrice improvisée, s’investisse avec tant d’ardeur dans la résurrection du personnage central de Sarah Molina. En effet, elle confesse un peu crédible remords qu’elle a la bonté d’éprouver pour tous ceux qui ont causé la perte de cette femme en se raillant de sa laideur.
Dans un souffle, une fulgurance plutôt intéressants, l’auteur embarque son lecteur jusqu’à une fin malheureusement aussi inconcevable que le reste du roman.
Cernant pertinemment les bassesses humaines, Sarah Molina oublie, en imaginant l’action très noble de Sylviane, qu’une telle bonté, surtout si elle est enrobée par autant de haine, est bien improbable. Et le paradoxe du macabre décrit par un verbiage ampoulé n’est pas convaincant. Bref, sans mauvais jeux de mots, une fois L’indigeste gobé, il est bien difficile de l’avaler…