Collodion, mai 2008.
Aquatinte numérique originale, G.AdC
DÉPLORATION/RÉSURRECTION
Ophélie flottant dans l’errance sans repos, Ophélie « dormante au cœur des choses » rivées à l’absence, « Ophélie pleurante sur ce dormant de pierre », celle qui officie dans Mutilation d’arbre est prêtresse des mots et prêtresse des morts. Gardienne du gisant de marbre dont la mise au tombeau demeure un scandale, Béatrice Bonhomme-Villani se fait gardienne de la vie de son père défunt. Pareille à l’Antigone thébaine officiant auprès de l’être aimé et chéri, celle qui officie dans ce bouleversant chant d’amour, dit sa révolte contre la mort, cette injure faite à la vie de son père, ce « jeune homme éternel » habité par son « souffle d’aimant », sa « passion pour la vie ».
Dans le même temps que se dit la révolte contre la mort et contre la douleur qui l’accompagne ― « mutilation d’arbre, mutilation d’os », « j’ai mal à ton absence sans savoir vraiment où poser cette douleur qui est toujours curieusement cette attente vaine de toi » ― s’écrit l’hymne au père emporté par la maladie et se vit la souffrance au cœur des choses au cœur des mots. L’inscription du nom sur la dalle de marbre ― Mario Villani ― scelle la mort dans son silence et dans sa vérité.
Au cœur de cette « hérésie » de la mort du père, le père, pourtant, demeure « l’éveillé, l’émerveillé », le vivant dont les pinceaux, les poudres et les petits flacons de pigments bleus, le chapeau de paille, témoignent encore, avec les odeurs de colle de la chambre blanchie à la chaux, de l’ancrage de l’artiste dans la vie.
Simplicité apparente des mots et des évocations, incantation, Mutilation d’arbre est un chant d’amour à celui dont la fille se fait la dépositaire, gardienne pour toujours de ce qui fut le monde du peintre : son village, son atelier, sa musique napolitaine, ses couleurs, ses fresques et ses toiles. « Je reste la gardienne de l’alliance des choses où se nouent tes mains de vie et de marbre, sur tes mains de sang et de cire ». Mais la fille, qui souffre de l’inadmissible- insoutenable disparition du père, continue de s’interroger ― « comment cela est-il possible, ce retrait, cette réticence à vivre, cette absence de vivre, toi qui étais la vie même au plus profond du vrai » ― et d’attendre sa « venue de vivant ». Et se fait, dans son deuil, la dépositaire de « la déploration d’amour » de sa mère. Avec l’évocation de l’amante d’hier ― est-ce elle que l’on voit sur la photo au miroir, cette jeune femme au visage sérieux, tête posée sur l’épaule du beau jeune homme au sourire éclatant ? ―, aujourd’hui éplorée devant le corps de cire de son époux, la figure à laquelle Béatrice Bonhomme-Villani donne naissance est celle de la « Déploration du Christ ». Déploration profane d’une amante, épouse et mère, déploration d’une fille absorbée dans « la couleur de la mort » de ce « christ de marbre ».
Et au-delà de cette vision christique de la mort, ce que la fille met au monde par ses mots ― « j’accouche de toi dans la mort et je te porte comme ce christ gisant aux cires de tes mains d’alliance » ―, c’est la présence cosmique du père aimé. Sa résurrection.
« Tu savais peindre la lumière, tu es vivant dans la lumière
Tu savais peindre les maisons, tu habites les maisons, tu savais peindre les visages, tu es dans tous les visages. »
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Aquatinte numérique originale, G.AdC
BÉATRICE BONHOMME
Voir aussi :
- (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par Guidu Antonietti di Cinarca et l'excipit de Mutilation d'arbre ;
- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme/T’écrire adolescent ;
- (sur Terres de femmes) Béatrice Bonhomme/La terre rouge.
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