Jacques SIMONOMIS (1940 - 2005) est une figure incontournable de la poésie française contemporaine.
Après avoir écrit son tout premier poème à quatorze ans, il fut un auteur fécond, un amoureux du mot dans tous ses états.
Quoique fonctionnaire des P.T.T toute sa vie durant, il ne vécut que pour la poésie. Vitalité créative, humanité profonde, irrévérence "anarchisante", humour , "coups de gueule" et évocation
de la souffrance qui traverse toute vie humaine caractérisent l'oeuvre foisonnante de cet auteur attachant, bouillonnant, assez proche des surréalistes, à la voix originale, unique, qui fut
également un grand revuiste.
Ces extraits vous donneront une petite idée de sa verve, de sa fantaisie.
LES YEUX NOIRS
Ce taureau sauvé des arènes, je l'appelle Carmen, à cause de son regard. La confusion l'indispose. Il engrosse mes vaches. Elles sont malades, on les abat, c'est la mode. Carmen m'en
veut.
Je suis ruiné. Il fugue. Embroche des toreros. Nous vendons les dépouilles, partons en Crète, Ariane me tape dans l'oeil, je perds le fil, pour vivre heureux, vivons caché.
DOMESTIQUES.
Tourne le ventilo. Ce qui dépasse s'envole.
Les cheveux, les oreilles, le nez. Puis les bras, les jambes - pourtant sous la table. J'écris avec la bouche sur les haltères qui me formèrent. Je couvre la jacquerie des appareils
domestiques.
Voir ce mot.
LA MALADRESSE.
Césarine s'obstine à boire son café dans une timbale émaillée de bleu où deux oies tendent le cou, guettent les doigts sur l'anse. Le petit voisin a droit au verre "Babar", pour sa
limonade. Le verre brisé, la timbale écrasée, disent assez la maladresse des objets trop chargés d'artifice.
LES PARENTS.
Le pacte fut signé au Macdo, le filtre offert par le patron. Ils confondaient Tristan et Roméo avec Juliette et Iseult, le père de lui étant gendarme et la mère d'elle volage à tire d'aile. Natif
de la Loire Inférieure, il lui chantait "De Nantes à Montaigu" pour faire péter sa culture lacunaire. L'amour les consuma. Les deux familles pleurèrent, à cause de la fumée.
CHOSE VUE.
Il est fréquent qu'un cacochyme, jeté à l'hospice, aille, vingt ans plus tard, sonner chez son arrière-petit-neveu qui le prendra dans son équipe de football américain en l'appelant fiston, mais en
anglais. Est-ce un progrès ?
OXYGENE.
L'idée d'un dieu caché tue les alpinistes à plus de 8000 mètres. Celui qui redescend aveugle et bégaie : "J'ai vu - J'ai vu - J'ai vu" aux candidats crédules, ne manque pas d'air. Que sait-il de
plus qu'en ses vacances à Saint-Véran (*), chez Marie l'aïeule qui lui montrait, le soir en l'embrassant, l'image encadrée d'un vieux barbu assis sur un nuage, elle qui ne connaissait la météo qu'à
hauteur des genoux ?
(*) Saint-Véran : "Le village où les coqs picorent les étoiles" selon René Char. Commune des Hautes-Alpes, dans le Queyras entre 1990 et 2040 mètres , ce qui en fait la plus haute d'Europe.
Jacques SIMONOMIS
in "La queue leu leu du fabuleux", Préface de Jean-Paul GIRAUX, Editinter,
2006.
Avec l'aimable autorisation de Madame Yvette SIMONOMIS.