Le zeppelin,
Un ballon lourd.
Le monde est un mouvement dans lequel on est pris. On sait assez en ce moment comme on peut en recevoir l’onde de choc en toute méconnaissance de ce qui l’a initiée et on s’est déjà comparés à la goutte d’eau qui tient sa forme des contraintes ajoutées de la pression du milieu et de sa constitution interne. La question pour l’écrivain est d’entendre comme ce sont cristallisées les mutations en quelques marqueurs qui font la bascule du temps d’une décennie dans l’autre, quelles sont dans le tumulte les vigueurs qui se dégagent, et puis de confronter la langue à cette réalité. Ce qu’il a fallu qu’on traverse à vingt ans pour qu’on en garde encore longtemps après la trace en soi. En quelque sorte c’est une seule chose : formuler le monde - à soi-même et au delà, dans l’écho de la langue. L’enjeu est toujours de penser comment on a traversé ça et comment cela a traversé en nous.
En l’occurrence il s’agit de saisir pour François Bon sur une décennie (70’) la naissance d’un mythe musical (conjointe à sa propre naissance monde, quand on a vingt ans) dont on ne peut dire en quelle mesure il cristallise l’époque, les mutations du monde, ou si c’est l’époque qui inscrira sa trace, incarnée dans cette embarcation sonore que sont les quatre chevelus du Led Zeppelin. Mais ce retournement c’est tout un. Comment dire ces sensations mêlées, cette enveloppe avec résonance interne qu’est la musique qu’on reçoit. Et surtout si cette musique est comme un surgissement neuf, charpentée comme l’est la musique du Zeppelin, emmêlé dans une aventure sauvage avec excès et soufre. C’est déjà d’une épaisseur impossible la musique et nous déçus guitare en main sur les pelouses du lycée de constater l’enchevêtrement compliqué de guitares à restituer, sans parler de comment selon l’écoute qu’on en fait, chaque instrument semble venir au devant pour ajouter son contrepoint ou sa couleur. Peut-on écrire le rock dont les rythmes forts semblent ébranler la ligne, qui répondent impérieusement à leur propre pulsation interne, instinctive et lointaine quand la littérature semble plutôt un retour raisonné. En vérité on a pris l’onde de plein fouet et il fallait dans le temps d’après rassembler ce qui décante et le porter à la vue : D’où est venu cet ovni, qu’est-ce qu’il a laissé dans son sillage avant d’imploser plus loin sur la perspective ?
Le livre, sans imposer une forme biographique linéaire, semble rassembler par mouvements circulaires des poignées d’échos, de documents, de souvenirs et de liens sans parvenir totalement à démonter le mythe, il y a toujours cette dimension magique de tout événement véritable - pour moi de constater derrière une peinture magistrale qu’il y a toujours assembler des couleurs et des formes. Et dans Led Zeppelin cette tension interne qui fait que ça tient et que s’effacent devant l’évidence les heures de rabotage et d’ajustement autour d’un riff brut. Simplement le livre ici n’est pas un démontage universitaire, une autopsie. Plutôt l’écho de cette masse de choses qui gravitent autour de la masse, icônes et événements.
Avec Dylan déjà, et donc dans ce bloc Stones/Dylan/Led Zep, il y a cette littérature bizarre qui s’en prend au réel mais à un réel confus, mythe, documents, fresque historique, expérience personnelle, et cela dit comme sur les pelouses du lycée encore on s’échangeait les anecdotes, les cassettes (je repiquais les vinyles au micro collé aux enceintes, Dylan, Joplin, Jethro Tull… avec parfois dans le fond un porte qui claque ou la mère qui appelle à table) les tuyauts de réglages amplis, les tablatures, les magasines avec posters des groupes. Rares et discrètes sont les considérations littéraires qui réfléchissent le métier. François Bon propose un kaléidoscope, une diffraction roch’n roll qui restitue le vertige que sont ces grandes sculptures à la hache lancées dans le monde et auxquelles il semble que la dizaine d’année que l’on continue de porter en soi se soit accrochée.