Jeudi dernier, Rachida Dati a senti le vent de la révolte souffler. La journée d'action du 23 octobre, symbolique et suivie, a rassemblé magistrats et avocats. La totalité des organisation syndicales, classées à gauche ou à droite, s'est émue de l'attitude qualifiée de méprisante de leur ministre de tutelle.
Sarkozy contre les juges
Depuis des années, Nicolas Sarkozy a basé sa "rupture" sur la stigmatisation des magistrats. Le magistrat laxiste est l'une de ses cibles favorites, qu'il livre avec délice à la vindicte populaire à chaque fait divers malheureux. Dans la foulée des émeutes en banlieue qu'il a lui-même provoquées à l'automne 2005, le voici qui s'exclame: "Je n’ai pas trouvé admissible que, durant toutes les émeutes du mois de novembre 2005, le tribunal pour enfants de Bobigny n’ait pas prononcé une seule décision d’emprisonnement." Le décalage de traitement entre celui réservé aux bavures policières et celui dévolu aux cas de "défaillances" judiciaires est frappant. Dans son programme présidentiel, Sarkozy promettait aussi d'inclure davantage de non-magistrats au sein du Conseil de la Magistrature.
Le président surfe avec l'opinion. Depuis des années, la défiance des Français vis-à-vis de la Justice se mesure dans les sondages. Dans la foulée de l'affaire d'Outreau, en juillet 2006, 65% des sondés par l'institut CSA déclaraient "avoir peur de la Justice." Récemment, le Conseil Supérieur de la Magistrature a examiné le "divorce" des Français avec leur justice, soulignant les incohérences des instructions ministérielles :
La Garde des Sceaux, dès son entrée en fonction, n'a fait que suivre la voix de son maître.Le rapport décrit des magistrats sans boussole : ils "reçoivent des instructions ou orientations qui se veulent complémentaires, mais qui peuvent se révéler contradictoires : emprisonner-réinsérer, rééduquer-punir l'enfance difficile". Le CSM critique la chancellerie : "Le ministère de la justice est loin d'être un modèle de concertation préalable." Mais il épingle aussi les pratiques "individualistes et peu organisées" des magistrats.
Même analyse sur la question lancinante du manque de moyens : si le CSM déplore la pénurie de greffiers (sans qui les décisions de justice demeurent inapplicables), il critique le peu d'empressement des magistrats à accepter de travailler avec des assistants de justice ou des experts : "Le magistrat travaille généralement beaucoup, pour un produit fini le plus souvent de qualité, mais il le fait de manière isolée (...). Cela ne favorise ni l'esprit d'équipe ni une vision large de la portée de ses décisions."
Rachida Dati, l'icône devenue fusible
La ministre a très tôt subi les foudres du corps judiciaire. L'opposition émanait initialement de la gaucche. Elle est aujourd'hui générale. Les critiques visent la personnalité autoritaire de la ministre, son penchant pour les belles robes et les bijoux ostentatoires, l'incohérence de ses réformes (bracelet électronique contre peines plancher), ou l'absence de concertation (cf. la carte judiciaire). Maître Eolas en a transformé son blog, devenu celui des "magistrats en colère." Il y a quelques semaines, la ministre avait taclé les magistrats, mais pas les surveillants, après le 4ème suicide en 5 mois d'un détenu à la prison de Metz. Dimanche 26 octobre, Rachida Dati s'est donc défendue dans le JDD.
Vous les aimez donc, vos juges? Je leur fais confiance et je les respecte. J'ai moi-même choisi d'être magistrate. "L'indépendance de la justice est un principe fondamental" Les juges disent que vous menacez leur indépendance... L'indépendance de la justice est un principe fondamental. Je le dis et je le redis aux Français: cette indépendance est une garantie pour eux. Les choses sont claires et précises. Le ministre de la Justice peut donner des instructions aux procureurs. C'est ce que je fais en demandant que la loi soit appliquée, notamment pour lutter contre la récidive ou les violences urbaines. Mais les juges du siège, qui rendent les décisions, sont indépendants dans leurs jugements. Cela fonde notre Etat de droit.Vendredi 17 octobre, Rachida Dati était intervenue à la 4ème convention nationale des avocats, à Lille. Un déplacement symbolique, et curieux, car la même ministre avait refusé de se déplacer au Congrès de l'USM la semaine précédente. Elle a tenté, parfois sous les sifflets, de justifier la rétention de surêté (cet enfermement à vie sans condamnation), et de promettre davantage de moyens.
En déplacement à Pékin, Nicolas Sarkozy aurait durement réprimandée, d'après LE PARISIEN, la Garde des Sceaux: "C'était à toi de demander au parquet de déposer une requête pour rectifier l'erreur de procédure. Ce n'est pas à moi de tout faire", a-t-il déclaré à propos de la libération d'un violeur présumé, suite à une faute de frappe dans une décision judiciaire. Sarkozy n'avait pas non plus supporté l'absence de la ministre au congrès de l'USM en début de mois. Rachida Dati est clairement sous le contrôle de l'Elysée, par l'intémédiaire de Patrick Ouart, conseiller pour la justice de Sarkozy.
Rachida Dati, le symbole d'une erreur ?&alt;=rss