A deux

Une semaine depuis le départ des Açores. Il a fallu prendre notre rythme de quart à deux. D'abord, on ne se croisait que lors de la relève et pour les repas. Le reste du temps étant consacré à la veille et au repos. C'était un peu fatiguant d'abord et puis, de plus en plus, très comfortable.
Etre à deux et bien s'entendre en navigation hauturière est royal. C'est un peu la navigation en solitaire avec tous les avantages sans les inconvénients. On est presque tout le temps seul mais on peut se reposer en comptant sur l'autre. On peut s'adonner à la solitude du quart tout en profitant de la convivialité des moments choisis passés ensemble; la structure de la journée type est assez militaire mais devient de plus en plus détendu lorsque le besoin de sommeil diminue, que l'on connait son rythme, celui de son alter ego et que chacun le respecte avec la marge de manoeuvre suffisante pour ne pas souffrir et pour faciliter la vie de l'autre. Une sorte de modèle de vie en société réduite. Assez curieusement d'ailleurs, la navigation à deux en confiance est plus simple et plus reposante qu'à trois, quand le troisième nécessite une attention de tous les instants . Je crois que nous sommes heureux.
Je n'ai ni écrit ni lu beaucoup depuis le départ du Panama, alors que j'affectionne ces deux activités, particulièrement en bateau. Peut-être étais-je, jusqu'alors, trop vigilant sur ce qui se passe et en même temps peu apte à vivre autre chose que le moment présent. A peine, si j'ai lu en deux jours le bon vieux "victoire en solitaire" de Tabarly qui trainait en version Arthaud dans les équipées. Pour le reste, je me suis contenté de feuilleter les magazines du bord, improbables "sailing" et "american rifleman". J'en ai assez et n'ai aucune envie d'emprunter les bouquins de finance ou les traités de guerre de Clausewitz que dévore Jérôme. Heureusement, il est plein de ressources et me fournit une drogue littéraire parfaite: Les aventures du capitaine Hornblower, aspirant lieutenant de la marine britannique à l'époque de la révolution française. Fantastique.....Un must. Je n'arrive plus à m'en dépétrer à tel point que j'assure mes quarts parfois depuis le roof, en mettant le réveil toutes les demi-heure, histoire de sortir de ma boîte pour un 360° visuel de sécurité.      
Il faut dire aussi que la météo a été on en peut plus clémente: Non seulement elle nous a permis de cheminer à la voile jusqu'à la fin des Açores sans mettre le moteur, ce qui est plutôt rare d'après les pilot charts, mais elle nous gratifie ensuite d'un flux de nord soutenu mais pas trop violent qui nous achemine rapidement vers Gibraltar. Du billard.