Ah si l’Europe pouvait provoquer autant d’enthousiasme que l’Euro ….pas la
monnaie, le foot bien entendu !
Demain les Irlandais vont avoir à se prononcer pour ou contre la traité de
Lisbonne appelé également traité simplifié.
A propos de ce Traité, j’avais déjà regretté que pour satisfaire les
anti-européens de toutes nationalités et de toutes tendances politiques, on
l’ait dépouillé de ses symboles, de tout ce qui pouvait laisser espérer qu’un
jour, l’Europe ait enfin un sens politique. Néanmoins, ce petit traité a le
mérite d’exister et puisqu’on a mis la charrue avant les bœufs en élargissant
l’Europe avant de lui donner une structure de gouvernance efficace, il parait
même indispensable.
Malgré tout, demain, le seul pays à se prononcer par voie référendaire, pour
cause d’obligation constitutionnelle, va nous dire si ce mini traité verra le
jour ou non !
Les derniers sondages en la matière n’étaient pas très optimistes et il est
fort possible que les Irlandais votent « non » et bloquent ainsi le
processus de ratification.
Dans cette hypothèse tout à fait malheureuse, l’Europe continuerait à
fonctionner tant bien que mal, certes, mais perdrait le peu de perspectives
d’évolutions qui lui reste. Au pire elle resterait gérée selon les règles
édictées lors du Traité de Nice, au mieux un certain nombre de concessions
seraient faites aux Irlandais en espérant qu’ils changent d’avis.
Dans les 2 cas, la belle idée de l’Europe s’en trouverait encore un peu plus
flétrie.
Quoi qu’il en soit, il est particulièrement significatif que le risque le
plus important qui pèse sur ce Traité soit le fait du seul pays appelé à se
prononcer par voie référendaire.
Disons le tout de go, si le référendum avait été le seul mode de ratification
pour tous les pays, le traité n’aurait aucune chance d’être ratifié.
Il y a clairement un écart entre la volonté des élus de sortir l’Europe du
bourbier dans lequel elle s’est enlisée depuis le traité de Nice et
l’élargissement, et le sentiment de défiance des populations vis-à-vis de
celle-ci.
Difficile d’expliquer ce phénomène et je ne m’y hasarderai d’autant moins
que d’un pays à l’autre les raisons de cette défiance peuvent être différentes
comme l’ont été celles des français et des néerlandais pourtant d’accord pour
voter « non » au traité constitutionnel.
Néanmoins, une enquête menée par la représentation de la Commission
Européenne en France, en 2006, c'est-à-dire après le « non » des
français, me semble assez instructive.
Elle met en avant un certain nombre de contradictions sinon de d’incohérences
dans la perception que les français et probablement d’autres peuples ont de
l’Europe. Elle permet également, sinon de tout comprendre, du moins
d’appréhender ce que, à mon sens, sont les vraies raisons du décalage entre les
« élites » et les populations.
Tout d’abord, les Français estiment que la construction européenne a des
effets positifs.
Elle permet à la fois de garantir la paix sur le continent européen (79%),
de rendre l’Europe plus forte face au reste du monde (75%) et de mieux lutter
contre les effets négatifs de la mondialisation (54%).
Au vue de ces scores et de l’importance des sujets sur lesquels les français
considèrent positivement l’Europe : « garantir la paix » ou
d’être « plus fort face au reste du monde » et même si le score est
moins net « de mieux lutter contre les effets négatifs de la
mondialisation », on pourrait se dire, que tout est dit, que ces points là, à
eux seuls, devraient suffire à provoquer l’enthousiasme des foules vis à vis de
l’Europe.
Or, le moins que l'on puisse dire c'est que ce n’est pas le cas !
Si on considère les principaux sujets sur lesquels les français perçoivent
l’Europe négativement négatifs, que trouve-t-on ?
1 - Le coût de la vie (65%) : On imagine que c’est l’Euro qui est
accusé ici d’avoir augmenté les prix. Sacré Euro !
A ce sujet, je ferais 2 remarques:
Tout d’abord, l’Euro n’est pour rien dans une quelconque augmentation des
prix dont les auteurs sont tous ceux qui ont profité du passage à l’euro pour
« arrondir » leurs prix et ainsi se goinfrer en augmentant ici le
prix de leur baguette de 50%, là le prix de la coupe de cheveux de 30% ou
encore celui du surimi de 25%. La parité franc/euro n’a fait que faciliter cet
effet d’aubaine pour un certain nombre d’activités mais il est quand même
étonnant qu’au lieu d’accuser les profiteurs on accuse l’Euro de leur avoir
donné l’opportunité de profiter facilement.
C’est un peu comme si vous vous autorisiez à partir sans payer d’un magasin
sous prétexte que les portes sont ouvertes et qu’il n’y a pas de vigile. Tout
le monde vous voit mais le coupable désigné n’est pas le voleur mais le magasin
qui n’avait qu’à pas vous tenter en laissant les portes ouvertes !
Ensuite, compte tenu de l’état des finances de la France, il y a fort à
parier que notre pauvre Franc serait au plus mal et qu’en conséquence les prix
des produits facturés en dollars et notamment le pétrole, nous couteraient
beaucoup, beaucoup plus en francs qu’il nous coutent en euros. C’est déjà la
révolte pour un prix du gas-oil à 1,45 euro mais qu’est ce que cela serait s’il
était à 12 francs (ce qui correspond à une parité franc/dollars de - 25% par
rapport à la parité euro/dollars) !
2 - La situation de l’emploi (63%) : N’y a-t-il pas une légère
contradiction avec le fait d’admettre qu’être dans l’Europe permet de mieux
lutter contre les effets négatifs de la mondialisation. Peut-être est-ce encore
ce vieux fantasme du plombier polonais !
3 - Dans le domaine de l’agriculture (58%) : Là c’est le pompon quand
on sait que la France est la principale bénéficiaire de la politique agricole
commune et qu’il s’agit du premier poste budgétaire de l’Union.
4 - La compétitivité des petites et moyennes entreprises (53%) : Je ne
comprends pas bien pour ne pas dire pas du tout en quoi l’Europe pénaliserait
la compétitivité des PME françaises !
Cette compétitivité me semble plutôt écornée par les procédures
administratives et la fiscalité française que par les règles
européennes.
5 - Parmi les principaux reproches faits à l’Europe, on trouve également,
que la construction européenne coûte cher à la France (66%): Etonnant également
quand on sait que la France n’est que très faiblement contributrice net du fait
de tout ce qu’elle reçoit au titre de la PAC.
En résumé, tous ces reproches me semblent peu convaincants et souvent
contradictoire avec les points positifs accordés à l’Europe. J’en déduis que
les vraies explications sont ailleurs et qu’il ne faut pas les chercher sur le
terrain économique voire social même si dans les périodes ou les économies
souffrent, on a vite fait d’oublier que cela serait probablement bien pire en
dehors de la communauté européenne.
Les arguments financiers et économiques sont souvent des paravents qui
cachent des motivations que beaucoup ne souhaitent pas mettre en
avant.
Le nationalisme en est une. Fondamentalement, il me semble que les
populations ne sont pas prêtes à se considérer, avant tout, comme des citoyens
européens. Toutes ont des « valeurs » à défendre, toutes ont un
modèle de société qu’elles pensent unique et qu’elles craignent de voir
engloutir au sein d’une Europe qui leur imposerait un schéma supranational
banalisant et qui induirait nécessairement une perte d’identité.
C’est le très fameux modèle social des Français, c’est le régime fiscal des
Irlandais, le catholicisme des Polonais, la corrida des Espagnols ou la Reine
des anglais.
Ces sujets, nécessairement sensibles et souvent abordés de manière
passionnelle, se prêtent facilement aux contre-vérités et sont, en cela, du
pain béni pour tous les démagogues, populistes et autres prêcheurs
anti-européens. Le débat autour du référendum français de 2005 a été
particulièrement riche en la matière.
Même si, évidemment, sur ces sujets, l’Europe n’est pas l’ogre que se
complaisent à dénoncer les nationalistes de tous poils, il ne faut pas négliger
cet élément surtout quand on sait que 49% des Européens considèrent que les
pays d'Europe sont éloignés en terme de valeurs, contre 44% qui considèrent
qu'ils sont proches (cf. une enquête réalisée par TNS Sofres en Juin 2005 pour
Euro RSCG auprès des habitants de 10 pays européens).
Enfin, la deuxième grande explication à la défiance des populations
européennes vis-à-vis de la construction européenne réside dans la méfiance
vis-à-vis des Politiques et le sentiment que ce projet n’est pas le
leur.
Toujours selon l’enquête citée plus haut, 4 Français sur 5 (80%) jugent que
« les hommes politiques pensent à leur intérêt personnel avant de penser à
l’intérêt général » !
Ils sont autant à considérer que la construction européenne est trop
éloignée des préoccupations des citoyens (82%).
Enfin, ils indiquent souhaiter être davantage associés aux prises de
décision dans l’Union européenne (76%).
De ces chiffres, je tire la conclusion que les français et probablement les
citoyens des autres pays, ne se sont pas approprié l’idée de l’Europe, qu’ils
considèrent comme le projet d’une élite dont ils se méfient.
Ils demandent à être davantage associés aux prises de décision comme si ils
ne se sentaient pas représentés par les députés européens pourtant élus au
suffrage universel, comme si les véritables décisionnaires n’étaient pas les
chefs d’Etat des pays européens élus par les citoyens de leurs pays.
Ce qui est paradoxal, c’est que feu le traité constitutionnel devait
permettre de démocratiser un peu plus le mode de fonctionnement de l’Europe,
notamment en donnant plus de prérogatives au parlement européen et en
instituant la possibilité d’un referendum populaire.
Mais manifestement le fossé était déjà trop large et le traité est arrivé,
encore une fois, comme le projet des élites « qui veulent nous imposer
leur Europe ».
En résumé, il me semble que, fondamentalement, ce n’est pas l’intérêt de
l’Europe qui est remis en cause par les populations mais l’impression qu’elle
se construit sans eux et sur un modèle dont ils ne perçoivent pas bien les
contours. Tant que l’Europe se contentait d’être une sorte de gros GIE, elle ne
gênait personne et elle pouvait être laissée entre les mains des spécialistes,
mais à partir du moment où son champs d’intervention s’accroit, beaucoup se
demandent si elle ne va pas empiéter sur des prérogatives qu’ils considèrent, à
tort ou à raison, comme devant rester nationales.
De plus, la méfiance des populations vis-à-vis de leurs élites élues,
s’accroit tout naturellement avec la distance. On a plus confiance dans le
maire de son village que dans celui d’une grande ville est à plus forte raison
que dans le député de sa circonscription qui lui-même inspire plus confiance
que les autres élus nationaux ou que l’exécutif national !
Alors évidemment, vu de son village, l’Europe c’est loin et donc
suspect !
Une fois ce constat fait, et si on souhaite un avenir à la construction
européenne, il parait nécessaire de rassurer et d’impliquer les populations.
Rassurer en expliquant ce qu'est réellement l'Europe et surtout en quoi elle
n'est pas ce que prétend la clique hétéroclite des anti-européens. Rassurer
également en fixant clairement les objectifs et le cadre de l’Europe pour peu
que l’on en soit capable c'est-à-dire que tous les pays appartenant à la
Communauté Européenne puissent se mettre d’accord sur ce qu'ils veulent en
faire.
Impliquer, en imaginant non pas une sorte de démocratie participative telle
qu’elle peut être demandée par ceux qui savent pertinemment que rien ne
pourrait avancer de cette manière, mais par exemple des processus de
concertation populaires sur des sujets importants, qui se ferait par référendum
simultanément dans tous les pays.
En attendant, et c'est malheureux à dire mais il parait sage, pour débloquer
la situation, de se passer de l’avis direct des populations et de faire
ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire. Certes la démocratie
n’en sort pas renforcée mais ou en serait l’Europe si nos si décriées
« élites » ne l’avaient pas initiée, construite et portée à bouts de
bras depuis 50 ans !
Indirectement, le Traité constitutionnel et la question de son mode de
ratification devraient nous amener à nous interroger sur le fonctionnement de
nos démocraties. Comment en est-on arrivé à un tel écart entre la vox populi et
celle de ses représentants démocratiquement élus ? Comment en est-on
arrivé à refuser l’expression directe du référendum par crainte du
résultat ? …beau débat en perspective !