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Europe : vox populi versus vox elitus

Publié le 11 juin 2008 par Nicolas007bis

Rambo20

Ah si l’Europe pouvait provoquer autant d’enthousiasme que l’Euro ….pas la monnaie, le foot bien entendu !

Demain les Irlandais vont avoir à se prononcer pour ou contre la traité de Lisbonne appelé également traité simplifié.
A propos de ce Traité, j’avais déjà regretté que pour satisfaire les anti-européens de toutes nationalités et de toutes tendances politiques, on l’ait dépouillé de ses symboles, de tout ce qui pouvait laisser espérer qu’un jour, l’Europe ait enfin un sens politique. Néanmoins, ce petit traité a le mérite d’exister et puisqu’on a mis la charrue avant les bœufs en élargissant l’Europe avant de lui donner une structure de gouvernance efficace, il parait même indispensable.

Malgré tout, demain, le seul pays à se prononcer par voie référendaire, pour cause d’obligation constitutionnelle, va nous dire si ce mini traité verra le jour ou non !

Les derniers sondages en la matière n’étaient pas très optimistes et il est fort possible que les Irlandais votent « non » et bloquent ainsi le processus de ratification.

Dans cette hypothèse tout à fait malheureuse, l’Europe continuerait à fonctionner tant bien que mal, certes, mais perdrait le peu de perspectives d’évolutions qui lui reste. Au pire elle resterait gérée selon les règles édictées lors du Traité de Nice, au mieux un certain nombre de concessions seraient faites aux Irlandais en espérant qu’ils changent d’avis.

Dans les 2 cas, la belle idée de l’Europe s’en trouverait encore un peu plus flétrie.

Quoi qu’il en soit, il est particulièrement significatif que le risque le plus important qui pèse sur ce Traité soit le fait du seul pays appelé à se prononcer par voie référendaire.
Disons le tout de go, si le référendum avait été le seul mode de ratification pour tous les pays, le traité n’aurait aucune chance d’être ratifié.

Il y a clairement un écart entre la volonté des élus de sortir l’Europe du bourbier dans lequel elle s’est enlisée depuis le traité de Nice et l’élargissement, et le sentiment de défiance des populations vis-à-vis de celle-ci.

Difficile d’expliquer ce phénomène et je ne m’y hasarderai d’autant moins que d’un pays à l’autre les raisons de cette défiance peuvent être différentes comme l’ont été celles des français et des néerlandais pourtant d’accord pour voter « non » au traité constitutionnel.

Néanmoins, une enquête menée par la représentation de la Commission Européenne en France, en 2006, c'est-à-dire après le « non » des français, me semble assez instructive.
Elle met en avant un certain nombre de contradictions sinon de d’incohérences dans la perception que les français et probablement d’autres peuples ont de l’Europe. Elle permet également, sinon de tout comprendre, du moins d’appréhender ce que, à mon sens, sont les vraies raisons du décalage entre les « élites » et les populations.

Tout d’abord, les Français estiment que la construction européenne a des effets positifs.

Elle permet à la fois de garantir la paix sur le continent européen (79%), de rendre l’Europe plus forte face au reste du monde (75%) et de mieux lutter contre les effets négatifs de la mondialisation (54%).

Au vue de ces scores et de l’importance des sujets sur lesquels les français considèrent positivement l’Europe : « garantir la paix » ou d’être « plus fort face au reste du monde » et même si le score est moins net « de mieux lutter contre les effets négatifs de la mondialisation », on pourrait se dire, que tout est dit, que ces points là, à eux seuls, devraient suffire à provoquer l’enthousiasme des foules vis à vis de l’Europe.

Or, le moins que l'on puisse dire c'est que ce n’est pas le cas !

Si on considère les principaux sujets sur lesquels les français perçoivent l’Europe négativement négatifs, que trouve-t-on ?

1 - Le coût de la vie (65%) : On imagine que c’est l’Euro qui est accusé ici d’avoir augmenté les prix. Sacré Euro !

A ce sujet, je ferais 2 remarques:

Tout d’abord, l’Euro n’est pour rien dans une quelconque augmentation des prix dont les auteurs sont tous ceux qui ont profité du passage à l’euro pour « arrondir » leurs prix et ainsi se goinfrer en augmentant ici le prix de leur baguette de 50%, là le prix de la coupe de cheveux de 30% ou encore celui du surimi de 25%. La parité franc/euro n’a fait que faciliter cet effet d’aubaine pour un certain nombre d’activités mais il est quand même étonnant qu’au lieu d’accuser les profiteurs on accuse l’Euro de leur avoir donné l’opportunité de profiter facilement.
C’est un peu comme si vous vous autorisiez à partir sans payer d’un magasin sous prétexte que les portes sont ouvertes et qu’il n’y a pas de vigile. Tout le monde vous voit mais le coupable désigné n’est pas le voleur mais le magasin qui n’avait qu’à pas vous tenter en laissant les portes ouvertes !

Ensuite, compte tenu de l’état des finances de la France, il y a fort à parier que notre pauvre Franc serait au plus mal et qu’en conséquence les prix des produits facturés en dollars et notamment le pétrole, nous couteraient beaucoup, beaucoup plus en francs qu’il nous coutent en euros. C’est déjà la révolte pour un prix du gas-oil à 1,45 euro mais qu’est ce que cela serait s’il était à 12 francs (ce qui correspond à une parité franc/dollars de - 25% par rapport à la parité euro/dollars) !

2 - La situation de l’emploi (63%) : N’y a-t-il pas une légère contradiction avec le fait d’admettre qu’être dans l’Europe permet de mieux lutter contre les effets négatifs de la mondialisation. Peut-être est-ce encore ce vieux fantasme du plombier polonais !

3 - Dans le domaine de l’agriculture (58%) : Là c’est le pompon quand on sait que la France est la principale bénéficiaire de la politique agricole commune et qu’il s’agit du premier poste budgétaire de l’Union.

4 - La compétitivité des petites et moyennes entreprises (53%) : Je ne comprends pas bien pour ne pas dire pas du tout en quoi l’Europe pénaliserait la compétitivité des PME françaises !

Cette compétitivité me semble plutôt écornée par les procédures administratives et la fiscalité française que par les règles européennes.

5 - Parmi les principaux reproches faits à l’Europe, on trouve également, que la construction européenne coûte cher à la France (66%): Etonnant également quand on sait que la France n’est que très faiblement contributrice net du fait de tout ce qu’elle reçoit au titre de la PAC.

En résumé, tous ces reproches me semblent peu convaincants et souvent contradictoire avec les points positifs accordés à l’Europe. J’en déduis que les vraies explications sont ailleurs et qu’il ne faut pas les chercher sur le terrain économique voire social même si dans les périodes ou les économies souffrent, on a vite fait d’oublier que cela serait probablement bien pire en dehors de la communauté européenne.

Les arguments financiers et économiques sont souvent des paravents qui cachent des motivations que beaucoup ne souhaitent pas mettre en avant.

Le nationalisme en est une. Fondamentalement, il me semble que les populations ne sont pas prêtes à se considérer, avant tout, comme des citoyens européens. Toutes ont des « valeurs » à défendre, toutes ont un modèle de société qu’elles pensent unique et qu’elles craignent de voir engloutir au sein d’une Europe qui leur imposerait un schéma supranational banalisant et qui induirait nécessairement une perte d’identité.
C’est le très fameux modèle social des Français, c’est le régime fiscal des Irlandais, le catholicisme des Polonais, la corrida des Espagnols ou la Reine des anglais.
Ces sujets, nécessairement sensibles et souvent abordés de manière passionnelle, se prêtent facilement aux contre-vérités et sont, en cela, du pain béni pour tous les démagogues, populistes et autres prêcheurs anti-européens. Le débat autour du référendum français de 2005 a été particulièrement riche en la matière.

Même si, évidemment, sur ces sujets, l’Europe n’est pas l’ogre que se complaisent à dénoncer les nationalistes de tous poils, il ne faut pas négliger cet élément surtout quand on sait que 49% des Européens considèrent que les pays d'Europe sont éloignés en terme de valeurs, contre 44% qui considèrent qu'ils sont proches (cf. une enquête réalisée par TNS Sofres en Juin 2005 pour Euro RSCG auprès des habitants de 10 pays européens).

Enfin, la deuxième grande explication à la défiance des populations européennes vis-à-vis de la construction européenne réside dans la méfiance vis-à-vis des Politiques et le sentiment que ce projet n’est pas le leur.

Toujours selon l’enquête citée plus haut, 4 Français sur 5 (80%) jugent que « les hommes politiques pensent à leur intérêt personnel avant de penser à l’intérêt général » !

Ils sont autant à considérer que la construction européenne est trop éloignée des préoccupations des citoyens (82%).

Enfin, ils indiquent souhaiter être davantage associés aux prises de décision dans l’Union européenne (76%).

De ces chiffres, je tire la conclusion que les français et probablement les citoyens des autres pays, ne se sont pas approprié l’idée de l’Europe, qu’ils considèrent comme le projet d’une élite dont ils se méfient.

Ils demandent à être davantage associés aux prises de décision comme si ils ne se sentaient pas représentés par les députés européens pourtant élus au suffrage universel, comme si les véritables décisionnaires n’étaient pas les chefs d’Etat des pays européens élus par les citoyens de leurs pays.

Ce qui est paradoxal, c’est que feu le traité constitutionnel devait permettre de démocratiser un peu plus le mode de fonctionnement de l’Europe, notamment en donnant plus de prérogatives au parlement européen et en instituant la possibilité d’un referendum populaire.

Mais manifestement le fossé était déjà trop large et le traité est arrivé, encore une fois, comme le projet des élites « qui veulent nous imposer leur Europe ».

En résumé, il me semble que, fondamentalement, ce n’est pas l’intérêt de l’Europe qui est remis en cause par les populations mais l’impression qu’elle se construit sans eux et sur un modèle dont ils ne perçoivent pas bien les contours. Tant que l’Europe se contentait d’être une sorte de gros GIE, elle ne gênait personne et elle pouvait être laissée entre les mains des spécialistes, mais à partir du moment où son champs d’intervention s’accroit, beaucoup se demandent si elle ne va pas empiéter sur des prérogatives qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme devant rester nationales.

De plus, la méfiance des populations vis-à-vis de leurs élites élues, s’accroit tout naturellement avec la distance. On a plus confiance dans le maire de son village que dans celui d’une grande ville est à plus forte raison que dans le député de sa circonscription qui lui-même inspire plus confiance que les autres élus nationaux ou que l’exécutif national !
Alors évidemment, vu de son village, l’Europe c’est loin et donc suspect !

Une fois ce constat fait, et si on souhaite un avenir à la construction européenne, il parait nécessaire de rassurer et d’impliquer les populations. Rassurer en expliquant ce qu'est réellement l'Europe et surtout en quoi elle n'est pas ce que prétend la clique hétéroclite des anti-européens. Rassurer également en fixant clairement les objectifs et le cadre de l’Europe pour peu que l’on en soit capable c'est-à-dire que tous les pays appartenant à la Communauté Européenne puissent se mettre d’accord sur ce qu'ils veulent en faire.

Impliquer, en imaginant non pas une sorte de démocratie participative telle qu’elle peut être demandée par ceux qui savent pertinemment que rien ne pourrait avancer de cette manière, mais par exemple des processus de concertation populaires sur des sujets importants, qui se ferait par référendum simultanément dans tous les pays.

En attendant, et c'est malheureux à dire mais il parait sage, pour débloquer la situation, de se passer de l’avis direct des populations et de faire ratifier le traité de Lisbonne par voie parlementaire. Certes la démocratie n’en sort pas renforcée mais ou en serait l’Europe si nos si décriées « élites » ne l’avaient pas initiée, construite et portée à bouts de bras depuis 50 ans !
Indirectement, le Traité constitutionnel et la question de son mode de ratification devraient nous amener à nous interroger sur le fonctionnement de nos démocraties. Comment en est-on arrivé à un tel écart entre la vox populi et celle de ses représentants démocratiquement élus ? Comment en est-on arrivé à refuser l’expression directe du référendum par crainte du résultat ? …beau débat en perspective !


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