Récemment, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et
l'Inspection générale des finances (IGF) ont proposé de taxer, d’une manière ou
d’une autre, les sodas, glaces, chips et autres aliments bourrés de sucres, de
sel et de graisses.
Comme pour le tabac ou l’alcool, l’idée sous-jacente est double : d’une
part de provoquer une baisse de la consommation de ces produits et d’autre part
de compenser le surcoût, pour la Sécurité Sociale, provoqué par les pathologies
associées à ces produits.
Il n’a pas fallu 2 jours pour que le Ministre du Budget Eric Woerth proclame
qu’il était « … hors de question d'augmenter la TVA sur des produits
alimentaires, surtout dans un contexte de difficultés de pouvoir d'achat pour
les Français » ajoutant par précaution un magnifique « …Ce n'est pas
un rapport de gouvernement. Cela reste un rapport d'experts, qui n'a aucune
valeur de proposition, ni de fait établi » …au cas où on n’aurait pas
compris que le Gouvernement n’a rien à voir avec cette malheureuse idée
antisociale !
C’est bien dommage !
La Sécurité Sociale et plus particulièrement l’Assurance Maladie, s’appuie
sur des notions de solidarité et d’universalité qui supposent que la
Collectivité nationale assure à tous le financement de tout ou partie des soins
de santé. La solidarité se manifestant d’une part par la proportionnalité des
prélèvements par rapport aux revenus et par la mutualisation des risques
puisque contrairement aux pratiques d’une assurance privée, n’y a pas de lien
entre le niveau de risque que présente un individu par rapport à la santé et sa
contribution financière au système.
Avec les taxes sur le tabac et l’alcool, l’Etat a commencé à déroger en
partie à ces règles puisque ces taxes ont été justifiées non seulement par un
souci de faire baisser la consommation mais également par la volonté de faire
contribuer un peu plus au budget de l’Assurance maladie, ceux dont les
habitudes de consommation présentent un risque supérieur de consommer des
soins.
C’est également l’idée sous-jacente à la récente proposition des Inspections
générales.
« Il convient clairement de présenter cette action fiscale comme une
mesure de financement de l'assurance-maladie, produisant par ailleurs un effet
de signal à l'égard des consommateurs et des industries agroalimentaires
».
Pour différentes raisons, je ne suis pas un fan des nouvelles taxes mais
l’idée de dissuader et/ou de faire payer ceux qui volontairement (à partir du
moment où une information institutionnelle est largement diffusée) prennent un
risque pour leur santé afin de compenser une partie du surcoût qu’ils
occasionnent à la collectivité mérite d’être considérée avec
attention.
Si en plus cela doit permettre de faire évoluer les comportements eh bien
tant mieux !
Pourtant l’idée a été évacuée manu militari !
Si on considère la question sous l’angle de la Santé Publique et si j’en
crois les études faites sur le sujet et le rapport qui accompagne ces
préconisations, la sur-consommation de ce qu'on appelle les
« junkfoods » provoque surpoids et obésité causes de maladies
cardiovasculaires, de diabète, voire de certains cancers.
Si on la considère sous un angle purement économique, le fait que ces
pathologies se multiplient et concernent un niveau significatif de la
population aura un coût important pour la collectivité nationale.
Selon l'IGAS et l'IGF, « si les déséquilibres alimentaires encore
constatés aujourd'hui devaient perdurer, il est peu douteux que la prévalence
des troubles et pathologies chroniques augmentera (...) et rendra peu
soutenable l'avenir du financement de la protection sociale ».
Face à cette situation, il y a 2 niveaux de réactions possibles et bien
entendu cumulables:
Le premier consiste à informer, le plus largement possible, la population
des conséquences de ce mode de consommation afin qu’une prise de conscience
s’opère et que les comportements s’ajustent spontanément.
Le second consiste à forcer les comportements à évoluer par des mesures
coercitives et/ou des pénalités financières. C’est ce qui a été faite pour le
tabac et l’alcool. Les pénalités financières étant censées permettre de faire
d’1 pierre 2 coups en provoquant une diminution de la consommation et, pour peu
qu’elles soient reversées à l’Assurance maladie, de compenser une partie des
coûts des soins des pathologies liées à cette consommation.
Bien entendu, on ne peut que souhaiter que le premier niveau suffise et
qu’il n’y ait pas besoin, d’une nième taxe supplémentaire !
Mais, l’expérience a montré que ces campagnes d’information étaient non pas
inutiles mais largement insuffisantes au regard des résultats attendus (cf. le
tabagisme).
A partir de là, soit on considère qu’il faut laisser chacun libre de ses
choix d’alimentation et de manière générale de ses comportement quels que
soient les risques qui leurs sont associés, en ne les pénalisant pas par un
surcoût ou une interdiction; soit on restreint leur champ de liberté en
obligeant ceux qui prennent des risques pour leur propre santé, à les assumer
financièrement et préventivement, compte tenu du fait qu’en définitive c’est la
collectivité qui paiera si ces risques se matérialisent.
La seconde attitude présente l’avantage de ne pas remettre en cause les
principes de solidarité et d’universalité sur lesquels est basée l’Assurance
maladie tout en y introduisant sélectivement une pratique d’assurance selon
laquelle l’assuré paye en fonction du risque couvert. C'est le principe du
"pollueur – payeur", du "fumeur – payeur" et du "buveur – payeur" élargi au
« bouffeur/buveur de cochonneries – payeur » !
C'est un moyen de responsabiliser les consommateurs de soins gratuits (ou
presque) que nous sommes !
Evidemment, cette méthode doit être utilisée avec précaution à partir du
moment où, dans le cas présent, elle revient, pour l’Etat, à remettre en cause
un comportement individuel qui pourtant ne provoque pas de nuisances pour
autrui (Contrairement aux fumeurs).
Ou fixe t-on la limite entre un comportement à risque qui doit être
taxé/restreint et un comportement dont les conséquences doivent être prises en
charge par la collectivité sans contreparties ?
Faut-il taxer ou rationner ceux qui mangent beaucoup trop (quelle que soit
la qualité de ce qu’il y a dans leur assiette), ceux qui roulent à vélo sans
casque, les 2 roues (qui ont un taux d’accidents élevé), celles qui font un
enfant après 40 ans … ?
En bref, ce ne doit pas être une porte ouverte ni à une banalisation forcée
des comportements pour les rendre socialement corrects ni à une
personnalisation du risque et donc des prestations ce qui reviendrait à
remettre en cause le principe de solidarité qui prévaut en matière de santé. En
résumé, ou est la frontière entre les risques que la collectivité doit prendre
à sa charge et ceux que chacun doit assumer. Sans répondre à la question, un
élément me parait discriminant, c’est l’existence d’une alternative
« raisonnable » pour tous.
Dans le cas du type de produits que l'IGAS et l'IGF se proposent de faire
taxer et sous réserve qu’il soit confirmé que ce ne sont pas des produits de
première (ou seconde) nécessité, contrairement à ce que le gouvernement semble
signifier, il y a des alternatives à prix équivalents !
Il n’y a aucune obligation pour les petits budgets à boire quotidiennement
du soda plein de sucre et à manger des chips pleines de sel.
En conséquence, il ne me semble pas scandaleux de faire financer leurs
futures maladies par ceux qui en abusent.
Encore faut-il qu’il y ait bien transfert des fonds récoltés vers le système de
santé (Caisse d’Assurance Maladie, CMUT …) qui soit, au moins, du niveau de
dépenses de santé anticipées (probablement pas facile à estimer surtout
lorsqu’on se projette à un horizon de 20 – 30 ans).
A ce propos, il est intéressant de constater comment ont été affectés les
prélèvements sur le tabac et l’alcool.
Sur le tabac
En 2007 seul 30 % des montants prélevés sur le tabac (9,4 milliards en 2007)
ont été affectés à la CNAM (environ 2,8 milliards d’euros).
Environ 11 % sont revenus au budget de l’Etat
52 % sont affectés à la FFIPSA (Fonds de financement des prestations sociales
des non salariés agricoles).
Plus de 4 % ont été attribués à la CMU et 1,5% au FNAL (Fond national d’aides
au Logement).
Une part de 3,39 % (319 millions) est attribuée au panier de recettes finançant
les mesures d’allègements généraux, afin de couvrir le coût en demi-année de
l’exonération totale de cotisations patronales de Sécurité sociale (hors AT-MP)
pour les entreprises de moins de 20 salariés à compter du 1 juillet
2007.
Enfin, une fraction égale à 1,69% du droit de consommation est affectée pour
l’année 2007 au régime général afin de financer les charges d’intérêt
qu’induisent les sommes restant dues par l’État au titre des relations
financières entre l’État et la Sécurité sociale.
Sur les boissons alcoolisées
Les boissons alcooliques sont soumises à un droit indirect qui a rapporté 2,6
milliards en 2007 et à une taxe additionnelle s’appliquant aux boissons dont la
teneur en alcool est supérieure à 25 degrés (415 millions d’euros en
2007).
En 2005, le droit indirect était intégralement affecté au budget de l’Etat.
Depuis 2006, ces prélèvements sont affectés en totalité au financement des
allégements généraux de charges patronales, conformément aux dispositions de la
loi de finances pour 2006. La cotisation sur les boissons alcooliques, affectée
à la CNAM jusqu'en 2004, a été transférée en 2005 au fonds de financement de la
CMU complémentaire.
Au vu de ces chiffres, on peut constater que ces prélèvements sont loin
d’être intégralement réaffectés à la Santé. Les droits sur les boissons
alcoolisées sont versés en intégralité au budget de l’Etat pour lui permettre,
notamment, de compenser le manque à gagner pour l’Assurance maladie engendré
par les allègements de charges patronales. Ce qui revient à prendre d’une main
ce qu’on donne de l’autre et donc, en définitive, à attribuer ces droits non
pas à l’Assurance maladie mais à l’Etat afin qu’il puisse faire face à ses
obligations vis-à-vis de l’Assurance maladie ce qui n’est, évidemment, pas du
tout pareil !
En ce qui concerne les produits « trop gras, trop sucrés ou trop salés
», le mode de taxation n’avait pas été vraiment défini mais une des hypothèses
évoquée était d’appliquer à ces produits un taux de TVA à 19,6 % au lieu des
5,5% en vigueur pour les produits alimentaires et la restauration rapide.
Si cette solution avait été adoptée, puisque la TVA est reversée au Budget de
l’Etat, le risque est important que là, également, la Sécurité Sociale ne
bénéficie pas pleinement des montants prélevés.
En conclusion, je trouve regrettable de la part du Gouvernement de refuser
d’étudier cette proposition pour des raisons purement politiques, par risque de
déplaire à un moment ou on ne parle que de pouvoir d’achat
défaillant.
Encore une fois, sous le prétexte, qui reste à prouver, de ne pas pénaliser
financièrement les plus modestes, on ne cherche pas à mettre en œuvre une
mesure qui outre ses effets sur la Santé publique, permettrait de
responsabiliser les comportements vis-à-vis de notre système de
santé.
Il semble normal que ceux qui prennent volontairement un risque dont ils ont
été avertis et à partir du moment où ils ont une solution alternative, en
payent, à l’avance, les conséquences financières pour la collectivité. Tout ce
qui peut permettre de faire prendre conscience que la santé à un coût tout en
respectant le principe de solidarité sur lequel s’appuie la Sécurité Sociale,
doit être encouragé.
Par contre, cela suppose que, contrairement à ce qui est fait jusqu’à
présent, cette taxe soit bien reversée au système de Santé et bien présentée
comme telle.
Dans le cas contraire, elle n’aurait pas la même signification, elle ne
pourrait plus être justifiée de la même manière et apparaitrait, au mieux,
comme un impôt supplémentaire et au pire comme une restriction de la liberté de
chacun de choisir son mode alimentation …et sa maladie.