Après la crise, le renouvellement des imaginaires (par antoine rebiscoul)

Par Levidepoches

Grace Jones - Sunset Sunrise (2008)

Il me semble que la notion de bien commun est essentielle, grace jones en parle trés bien...(jérémy dumont)

L'EMERGENCE DU BIEN COMMUN

Par Antoine Rebiscoul qui est publicitaire...

Malgré nos difficultés à tous de compréhension de l’ampleur de la crise actuelle, il faut déjà se risquer à l’exercice de la prévision. Vers quels imaginaires nouveaux allons-nous ? Quelle sera l’inscription de la déroute de l’économie dite financière dans les représentations les plus courantes de la valeur ajoutée perçue des biens et des services ? Les tentatives de solutions actuelles apportées à l’intérieur du système financier sont utiles, mais elles ne sont rien sans un arrimage à des représentations beaucoup plus larges, dont les produits et services bancaires ne sont qu’un petit élément....

Ces dernières années ont été caractérisées par une véritable bulle d’idées et de modèles économiques autour de la figure de l’économie de l’immatériel. De quoi d’agissait-il ? Principalement, d’une tentative de dépassement de la différence entre l’offre d’un côté et la demande de l’autre par les pratiques d’interactivité. Et pas seulement dans la seule sphère d’internet. Dans un monde dont l’interactivité est l’horizon, les stocks – qu’il s’agisse de produits ou d’actifs - doivent tendanciellement devenir des flux et être lus comme tels.
L’imbrication du virtuel et du réel
Les produits les plus aisés à commercialiser ne sont-ils pas devenus les forfaits et abonnements, qui transforment la transaction marchande en relation et en commerce des accès ? Même le trafic des biens tangibles n’échappe guère à une recherche toujours plus poussée de fidélisation du « capital client ». A un autre niveau, le problème des entreprises est moins celui de l’affirmation de leur raison sociale « dans les murs » que celui de leur inscription au cœur d’un tissu relationnel premier, tramé de « parties prenantes » et de « territoires compétitifs », dont elles doivent savoir capter les compétences et les différents types de réseaux. Les outils de valorisation des actifs financiers, de la même façon, ont démonétisé l’évaluation par les coûts historiques pour lui substituer une recherche permanente de « fair value », de valeur de marché instantanée des actifs, qui a permis de donner à tous types d’options de croissance la validité et la saveur de la réalité. Produits, périmètres des entreprises, et actifs, ont connu un intense mouvement de dématérialisation, dans la mesure où par dématérialisation il faut entendre une incorporation toujours plus poussée des flux dans la production, du potentiel dans les outils d’évaluation, et des éléments d’images et de marque dans la perception de la valeur ajoutée servie par les biens.
Nous avons ainsi fabriqué un monde d’imbrications étroites entre virtuel et réel, et il serait bien imprudent de considérer que les seules activités financières seraient responsables de l’écart spéculatif que nous payons actuellement.
Après la crise, deux tendances lourdes
Aussi, dans le monde de la consommation, les conséquences concrètes de la crise actuelle seront doubles.
Nous allons sans doute assister à une forte réaction industrialiste, qui cherchera à extirper des biens et services toute dimension spéculative. Tout ce qui ressemble à un « produit dérivé », dans le domaine de la finance comme dans celui du marketing, devra rendre raison de son « sous-jacent ». Les biens qui ne produisent aucune option additionnelle, aucun débordement par rapport au contour de leur utilité première, seront particulièrement valorisés. On ne voudra plus payer pour des qualités ou des fonctionnalités supplémentaires, qui apparaitront comme autant d’attributs factices. Les produits « low-cost », qui ne cessent de progresser depuis cinq ans, vont connaître une vigueur renouvelée. Notre « système des objets » ira vers une forme de radicale simplification. Dacia est ainsi sans doute de plus en plus l’avenir de Renault.
Mais, à l’inverse, du côté de la complexité, nous allons assister à la migration de l’ensemble des pratiques et de l’imaginaire de l’économie de l’immatériel vers une thématisation nouvelle du concept de bien commun. Parce que, sans doute, notre seul espoir d’un renouveau de la croissance réside dans le nouvel horizon des industries vertes. Qui impliqueront d’indexer les formes principales de la valeur ajoutée perçue par chacun sur la contribution des facteurs de production à la sauvegarde ou à la progression des équilibres de la biosphère. De normes extérieures de limitation de l’activité, les facteurs de la « contrainte écologique » pourraient bien au contraire être intégrés en son cœur même, comme sa principale stimulation – ainsi que le pointait l’important rapport de Nicholas Stern dès 2006. Les impacts sociaux comme environnementaux des biens et produits, d’effets dérivés, pourraient ainsi devenir l’indice le mieux compris de leur nouvelle attractivité – voire, dans des formes inédites qui restent à inventer, de leur désirabilité.
De la notion d’’’immatériel’’ à celle de ’’bien commun’’
De même, la noosphère et les activités de l’esprit devront être requalifiés. Le mouvement de dématérialisation à l’œuvre depuis les années 90 a aussi été la mise en œuvre de connectiques dans presque tous les domaines : entre l’entreprise et ses multiples partenaires, prestataires, et « co-opétiteurs ». Entre les consommateurs et les marques. Entre individus. Mais, surtout, l’économie s’est davantage appuyée sur les progrès de la noosphère et sur ses puissants effets de réseau que l’inverse. Le marketing est ainsi devenu, dans la période antérieure, une activité à grande échelle de captation, voire de prédation, des productions culturelles et de l’immense espace intersubjectif ouvert par les nouvelles technologies. L’économie de l’immatériel apparaît dans son après-coup comme une préparation quasi-programmatique de la révélation de l’importance cruciale des phénomènes de mutualisation et d’interactions complexes, si complexes qu’elles fonctionnent comme des infrastructures d’échanges ressemblant à s’y méprendre à la définition que l’on peut donner d’un bien public. Comment, d’ailleurs, envisager un autre développement, dans un monde qui engage une quasi-nationalisation globale de son système bancaire, et qui reconnaît ainsi à la circulation monétaire une valeur telle qu’il ne saurait être question d’en risquer davantage la moindre défaillance ? Les biens et services de ce nouvel imaginaire devront se présenter comme des « hubs » ouverts, permettant une multitude d’accès, favorisant toutes les formes de socialisation. Ils s’appuieront de façon fondamentale, pour les mimer ou pour les intégrer au cœur du modèle de consommation qu’ils proposeront, sur les concepts de non-rivalité et non-excluabilité : tout le monde peut s’en servir, et s’en servir n’exclut pas les autres. Pour reprendre l’exemple automobile, ainsi que le notait justement récemment Bruno Marzloff dans Le Monde, Renault serait sans doute bien inspiré de signer avec Autolib’.

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Posté par : jérémy dumont