Éditions L’Act Mem,
collection « Passages à l’Act », 2008.
LES MASQUES ET BERGAMASQUES DE SOPHIE LOIZEAU
Masques et bergamasques d’un genre inédit, les « Bergamonstres » de Sophie Loizeau éploient leurs hybrides ancestraux bien au-delà du recueil auquel ils donnent leur titre et leur nom. Encadrés par Environs du bouc (2005) et Ex-Voto (2003), les « Bergamonstres » sont tirés, par l’écriture même, de l’inventaire d’un monde archaïque en sommeil. Exhumés des substrats archéologiques qui les enserrent, issus de stratifications immémoriales, les « Bergamonstres » surgissent, âne, chacal, panthère, chien, baribal, bouc et « grands cervidés ». Mais aussi oiseaux ― pic épeiche et sitelle torchepot. Et avec la harde des faunes qui animent ce recueil de neuf textes, se déplie l’éventail des gestes et rituels qui marquent « l’association de l’homme et de la bête ». Reconnaissance des excréments, des traces et des indices. Empreintes et poils. Appropriation des attributs de la bête, onction de la peau avec le sang. Mais la bête, dans ce recueil précis, l’emporte sur l’homme et obtient qu’il lui cède. L’ours-baribal s’empare du « je », fusionne avec lui par vampirisation, le contraint à l’endormissement. Ou à la copulation ― « qu’il me prenne par derrière ― en ait l’idée (ou moi) ― et notre humanité devient suspecte ». Jusqu’à animalisation de l’être. Dans « la plus grande liberté qui soit ».
Bien qu’il ne soit nulle part question de viol dans cet opus, le visage de The Rape (1934) de René Magritte, se superpose à ma lecture. Sans pour autant que j’éprouve, en lisant Bergamonstres, le malaise que suscite en moi cette toile. Bien au contraire.
Du Yemen ― qui marque l’entrée dans le recueil ― à la Dordogne (Font-de-Gaume) qui le clôt ; du poète tchèque Jan Skácel ― à qui est dédié le texte du « baribal » ― à l’écrivain périgourdin Claude Seignolle ― à qui est dédié le poème sur les traces et indices ―, le poète déplie et agrège en quelques paragraphes, strophes ou phrases le compost dense qui in-forme le recueil Bergamonstres. Et recompose un univers mythique charnel, chaud et sexué qui est aussi le nôtre.
Servie par une écriture sensuelle, gorgée de sèves et de sels, la poésie de Sophie Loizeau est une poésie audacieuse, « panique », priapique même. Une poésie de l’éros. Un éros sans larmes, célébré par une grande prêtresse irrévérencieuse et gourmande.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Note : Cette note de lecture est précédemment parue dans la revue littéraire Europe (Georg Büchner - Roland Barthes [86e année - n°952-953], août-septembre 2008, pp. 355-356).
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