Dans la livraison no 43 du Recueil officiel des lois fédérales du 28 octobre 2008 page 4741 figure in extenso la désormais fameuse « Ordonnance [du 15 octobre 2008] relative à la recapitalisation d’UBS SA ».
Il n’est pas inutile de s’attarder sur la forme de ce texte qui, outre sa constitutionnalité des plus douteuses, paraît pour le moins lacunaire et qui devrait s’intituler Ordonnance du Conseil fédéral à effet express unilatéral avec blocage démocratique, une sorte de nouveauté constitutionnelle spécifique au sauvetage No1 (malheureusement déja raté) de UBS.
Dans la description du but poursuivi, le gouvernement prévoit à l’article 1 alinéa 2 que « A cet effet, elle [la Confédération] souscrit et libère un emprunt de l’UBS SA à convertir obligatoirement en actions ». En fin de texte, le même gouvernement décrète à l’article 5 que « Elle [l’Ordonnance] a effet jusqu’à son remplacement par une loi fédérale, mais au plus tard jusqu’à l’exécution complète des transactions prévues à l’art. 1, al. 2. »
Pas de détails supplémentaires essentiels à la transaction, ce serait trop beau. Rien sur la durée de détention des actions, on n’en sait rien. Pas plus sur d’éventuelles voies de droit contre cette décision.
Ce texte, qui pour l’instant engage sans contrepartie le gouvernement, est des plus étranges et pose quelques questions :
- Si le conseil d’administration d’UBS a peut-être le pouvoir (on en doute) de décider seul de l’émission d’un emprunt obligatoirement convertible en actions, les termes de cette convertibilité ne sauraient échapper à la ratification d’une assemblée générale des actionnaires. Or le texte fédéral ne contient pas la moindre réserve sur ce point, considérant donc comme acquis le principe de cette conversion obligatoire, ainsi surtout que les termes définitifs de la conversion. Eléments pourtant par définition inconnus au jour d’entrée en vigueur de l’ordonnance puisque devant précisément être décidés par les actionnaires de UBS dans un mois. Si l’on peut comprendre que celui qui paye veuille en l’occurrence commander (on a déjà dit ailleurs qu’il pourrait et devrait le faire mieux et plus en profondeur qu’il ne le prévoit), on ne peut que difficilement imaginer pareil engagement de la Confédération sans réserve quelconque sur la convertibilité en actions qui n’est pas encore acquise. Manifestement même l’ordonnance a été cuisinée dans les alambics de UBS.
- A l’opposé, et sur le thème du contrôle démocratique, la durée de vie de cette ordonnance pourrait faire qu’elle ne reçoive jamais une absolution parlementaire. En effet, en absence de débat formel et en plénum et d’éventuelle transformation de cette ordonnance en loi fédérale, elle cessera d’être en vigueur le jour où les opérations de souscription d’emprunt et de conversion de l’emprunt en actions seront terminées. Ceci revient à dire que si ce point est porté à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale extraordinaire de UBS avant fin novembre 2008, toute l’opération de souscription sera bouclée avant la session d’hiver du parlement. Ce dernier pourra donc constater les dégâts, pleurer ou applaudir, mais ne pourra même pas amender ou transformer en loi fédérale une ordonnance qui n’est plus en vigueur .
Étrange conception du contrôle démocratique de la part du gouvernement. Cette conception est d’ailleurs confirmée par UBS elle-même dans son communiqué du 16 octobre qui prévoit entre autres ce qui suit : « L’émission de MCN devra être approuvée par les actionnaires d’UBS qui devront donner leur aval pour la création du capital conditionnel requis lors d’une Assemblée générale extraordinaire qui se tiendra vers la fin de novembre 2008. L’émission des MCN devrait avoir lieu cinq jours ouvrables après la date de l’Assemblée générale extraordinaire. »
Ainsi le gouvernement s’engage-t-il unilatéralement dans une voie qui en théorie du moins pourrait se révéler impossible et sans issue en cas de refus de l’émission du capital conditionnel par les actionnaires de UBS.
Précisément en cas de refus par les actionnaires d’UBS, que deviendrait alors le texte, qui serait toujours en vigueur au vu de la non réalisation d’une condition de sa « mort juridique » ?
Par ailleurs, quel type d’ordonnance est-ce constitutionnellement et le peuple ne doit-il pas pouvoir s’exprimer à son sujet au moyen d’un référendum facultatif ? Et pour ce faire le Parlement ne doit-il pas transformer cet acte en loi fédérale au sens strict ?
Au-delà des inquiétantes réalités économiques et financières qui perdurent après une semaine de nouvelles chutes boursières, il n’est pas inutile parfois de revenir à des fondamentaux de droit constitutionnel, ne serait-ce que pour prendre le temps de réfléchir un peu à la bonne gouvernance - en l’occurrence démocratique - dont devrait déjà faire preuve notre gouvernement avant de vouloir l’imposer aux entreprises.
Enfin on ne peut s’empêcher de noter en souriant jaune l’impossibilité technique définitive pour la Confédération de faire respecter (comme actionnaire très minoritaire) l’article 2 lettre d de son ordonnance :”l’UBS SA s’engage à respecter les injonctions du Conseil fédéral en matière de gouvernement d’entreprise”. Cet article qui est une déclaration unilatérale est totalement inopposable à l’UBS qui jusqu’à plus ample informé obéit à ses actionnaires in globo et non pas à un seul d’entre eux. Encore une invention de banquier qui n’est que de la poudre aux yeux pour calmer un Conseil fédéral décidément bien naïf.