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Le peuple des têtes coupées

Publié le 25 octobre 2008 par Mgallot

Suite à mon article sur Bureau d'études, j'ai eu le bonheur de rencontrer dernièrement Christian Gatard, son auteur, de passage sur Lyon pour l'une de ses études. Christian Gatard voyage énormément, fréquente nombre de personnes d'horizons les plus divers, et pourtant il a cette qualité rare de savoir se montrer disponible et curieux de l'autre, avec simplicité, de vous donner l'impression d'être tout à vous, attentif et bienveillant.

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Christian Gatard, esprit vivace et atypique, s'est pris d'une passion aussi insolite que contagieuse pour les mascarons - oui, vous lisez bien, les mascarons avec un "s", rien à voir donc avec cette délicieuse pâtisserie fourrée très dans l'air du temps - les mascarons, ces figures qui ornent nos façades urbaines, tout aussi délicieuses mais parfaitement ringardes, dont on aurait pu penser un peu hâtivement que plus personne ne les regarde vraiment. Christian Gatard a poussé la passion (je n'ose dire "le vice"!) jusqu'à consacrer un ouvrage entier à ces visages de pierre qui semblent toujours nous contempler de haut, à cet art naïf, mineur et pourtant moins anecdotique qu'on pourrait le penser, parangon du mauvais goût bourgeois: "Le peuple des têtes coupées" (voir sa présentation).

Ils sont Jupiter, Cérès, lion, cheval, et même éléphant, on les trouve sur les immeubles bourgeois du second Empire puis de la IIIème république, à Paris, mais loin d'être une exception culturelle française (Jack Lang nous en garde!), ils pullulent aussi à Londres, à Milan, à Venise, à Prague, à Bruxelles, sur les façades de la même époque. La première guerre mondiale leur fut quasiment fatale, ils agonisèrent pendant les années 20 et 30 jusqu'à la complète extinction.

Inévitablement se pose LA question ontologique fondamentale, une question de nature à vous faire passer quelques nuits d'insomnie: pourquoi les mascarons? Ces figures suspendues sur nos épaules m'ont toujours fait un peu peur, je dois l'avouer...et voici que je découvre avec Christian Gatard que leur fonction originelle (ancestrale) est probablement, justement, "apotropaïque" (elles servent à faire peur aux ennemis, à éloigner le mauvais oeil), comme les têtes coupées aux ennemis suspendues

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au-dessus des habitations dans les peuplades primitives. Ce n'est pas ce mascaron photographié récemment à Marseille, sur le bâtiment d'une banque, qui démentira l'hypothèse (que cherche à repousser ce mascaron? les démons de la crise financière, peut-être...)

Mais cette première réponse, pour convaincante qu'elle soit, n'était pas de nature à satisfaire Christian Gatard, qui en entrevoit bien d'autres, des plus sophistiquées aux plus fantaisistes et nous convie dans son livre à une bien étrange promenade dans les dédales des villes, mais aussi - et bien plus sûrement - dans ceux de son imagination érudite et sympathiquement farfelue. Car, qui vous dit que les mascarons ne sont pas des agents de circulation des énergies, là pour ralentir l'Histoire? C'est un banquier d'affaire rencontré dans un avion qui inspira cette interprétation inattendue à Christian Gatard: "François F. émettait l'hypothèse que l'Histoire - économique, sociale, culturelle et en l'occurrence financière - venait de connaître une dangereuse accélération et que le monde entrait dans une phase de décélération. Obligatoire, inéluctable, sous peine de déflagration universelle."

S'il m'est arrivé de me perdre en tentant de suivre les détours de l'esprit de Christian Gatard dans son livre, me voici pleinement convaincue: le rôle des vieux mascarons du capitalisme contre la crise financière ne fait plus de doutes. Esprits rationnels, je vous vois qui souriez, mais on le sait maintenant, rien de plus irrationnel que la finance mondiale.

L'enquête n'est bien évidemment pas close et les mascarons n'ont pas livré tous leurs

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secrets. Christian Gatard envisage de leur consacrer un blog, occasion de partager ses plus beaux specimens photographiés et ses hypothèses récentes - et peut-être d'initier quelques profanes à l'art clandestin de la chasse au mascaron. (photo ci-contre: Christian Gatard and friend).


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