J’avais fini par craquer, ayant presque envie de tout envoyer valdinguer. Personne, décidément, ne voulait m’écouter. D’accord, mais je n’allais tout de même pas m’abaisser, alors, à leur répéter trente six fois les mêmes sornettes. Je suis donc sorti sans répondre aux sarcasmes, la cigarette à la main, et passablement agacé de voir s’afficher, sur leurs visages, des sourires doublement hypocrites. Je savais ce qu’ils pensaient. Et ce n’était pas joli, joli, non… Pour ma part, je voulais, juste, m’aérer les méninges, tout en m’efforçant de retrouver un minimum de sérénité. Sur le boulevard, tout était si paisible, soudain. Un dimanche matin, assez ordinaire, en fait, me suis-je dit. Quelques cinglés aux allures de marathoniens et qui suaient comme des malades, se déglinguaient la carcasse en remontant le trottoir à toutes pompes. Deux ou trois vieillards égarés dans la ville, une baguette de pain artistiquement coincée sous l’aisselle, lançaient des regards implorants autour d’eux dans l’espoir de retrouver le chemin de l’asile. « Tout droit, mon brave… » ai-je dit à l’un d’eux qui m’a regardé d’un air ahuri. Une ambulance, en embuscade sur sa place de parking, gémissait d’impatience à se précipiter, toutes voiles dehors, au chevet du moindre éclopé qui serait passé à sa portée. Et c’est à ce moment-là que je me suis dit, en constatant le désastre de ma vie, que je commençais à ne plus guère supporter l’attitude de Saulnier à mon égard. Lequel, d’ailleurs, semblait ne plus rien supporter du tout. Car il n’y avait que trois hypothèses, au fond. Ou bien nous étions, tous, en train de sombrer dans la folie la plus délirante (hypothèse à exclure a priori, à moins de croire à la perversion générale du système et au démantèlement programmé de notre environnement) ; ou bien les propos du type révélaient une faille temporelle proprement incompréhensible (et alors Dieu sait ce que nous réservait l’avenir ?) ; ou bien ces loustics du Hezbollah nous avaient, bel et bien, mené en bateau en laissant filer le number-one au nez et à la barbe des israéliens. Naturellement, au cinquième étage, ni Saulnier ni aucun de ses acolytes n’accordait la moindre importance à ce que racontait réellement cette enflure en treillis militaire que les ritals nous avaient livré sur un plateau. Lequel prétendait, ni plus ni moins, répondre au nom de Thomas Édouard Laurence, rien que ça, et être né à Toulouse, je rêve, le seize août mille huit cent quatre vingt-huit. « Ben voyons… » avait répondu Saulnier en lui balançant une taloche pas piquée des hannetons. « Et moi, je suis le prince de Galles, peut-être ? » avait-il ricané pendant que le zozo reniflait sa morve sanguinolente. Et c’est aussi à ce moment-là que Sophie Lemarchand, histoire de rapprocher sa main de la machine à café, s’était brusquement levée de son siège en dodelinant sacrément du popotin. Et c’est à ce moment là encore que je lui ai trouvé un petit air de ressemblance avec Lady Di. A ce moment là, précisément, que je me suis dit qu’il fallait mieux les laisser patauger dans leur crasse. J’avais mieux à faire, non ?