Il a paru cet été dans le New York Times un des plus intéressants articles que j'aie lus depuis longtemps touchant la presse, Internet et les nouvelles technologies. Il s'agit d'un échange de questions et de réponses entre les lecteurs du journal et Marc Frons, qui en est le directeur technique des activités numériques.
Alors que la presse traverse une des plus sombres périodes de son histoire, Marc Frons s'ouvre avec une rare candeur sur les principales initiatives numériques du journal. Il va jusqu'à exposer la vision et les orientations du journal.
L'article est long et peu sembler disparate mais, si l'on s'attache à en faire la synthèse, ce n'est rien moins que la stratégie numérique du New York Times qui se dégage.
Cette stratégie repose sur deux piliers : l'acceptation d'Internet et des nouvelles technologies et l'affirmation de l'identité du New York Times.
Le premier peut paraître évident si l'on veut conduire une stratégie numérique qui ait des chances du succès. Pourtant, la presse a longtemps combattu Internet, perçu comme le principal fauteur de ses tourments. Ce n'est plus le cas aujourd'hui pour la plupart des grands noms, et le New York Times ne fait pas exception. Cet engagement se traduit au plan interne et externe.
Le New York Times a ainsi confondu ses équipes éditoriales Web et papier. Il a promu les techniciens pratiquement à la hauteur des journalistes. Mieux même : il a constitué une équipe bipartite nommée Interactive News technologies dont une des missions est de produire ces remarquables animations dont le journal a le secret. Afin de stimuler les équipes et l'innovation, le journal privilégie les développements techniques internes et a opté pour les technologies Open Source.
D'autre part, Le New York Times embrasse Internet et les nouveaux supports avec le courage d'affronter leurs problématiques et le souci de ne rien perdre de leur spécificité. Ainsi le test and learn semble-t-il être devenu une discipline, et l'on peut lire le célèbre journal au format numérique, sur son mobile, le Kindle, etc. Le Times s'attaque aux défis de la lecture en ligne (par exemple via TimesReader), à la recherche d'information ou encore à l'indexation des données via son programme data universe. Pour ce dernier point, l'objectif est d'associer des mots-clés à tout ce que le journal produit : vidéos, articles, critiques… Le Times se prépare déjà au Web sémantique !
Cela dit, cette pleine adhésion ne va pas au point de renier ce qui définit avant tout le Times : l'excellence éditoriale. Qu'on se rappelle au passage leur devise : All The News That's Fit To Print, une devise qui daterait de… 1896 ! Cette exigence se retrouve dans une façon spécifique d'embrasser certains aspects du Web. Par exemple, les liens vers des sources d'information extérieures (longtemps réprouvés par la profession), sont appréhendés comme une décision éditoriale à part entière. (On parle à ce sujet de link journalism.) De même, face au succès des agrégateurs d'information tels que Google Actualités, le journal entend affirmer la valeur d'un journalistique. Un projet appelé Times Extra a pour ambition de bâtir une version étendue de la page d'accueil du site. Celle-ci serait environnée d'une galaxie de sources d'information sélectionnées par les journalistes. Cette approche a été préférée à une page d'accueil personnalisable (saut que, du reste, la BBC a remarquablement fait).
Cela étant posé, l'objectif est d'évoluer d'un site de destination vers une plateforme d'information et d'applications créées par le New York Times, les lecteurs et les développeurs. Pour Marc Frons, la réalisation de cet objectif passe par trois chantiers.
Le premier est une distribution tous azimuts. En ce sens, la sortie d'une API est une avancée majeure, et à juste titre louée par un média averti tel que ReadWriteWeb. Grâce à cela, des tiers pourront manipuler les contenus du Times afin de les présenter ou les diffuser à leur guise. Le deuxième chantier est d'engager les journalistes à faire du Times un lieu qui ne concentrerait pas seulement leurs articles mais tous les articles qu'ils jugeraient pertinents. Le site deviendrait ainsi une plaque tournante de l'information selon ses plus hauts stabdards. Enfin, L'ambition est de fédérer et de développer autour du Times une vivante communauté de lecteurs et de contributeurs, et Times People est un pas en ce sens.
Je trouve cette approche puissante et féconde. Le Times sait qu'il ne peut plus se maintenir au sommet d'une tour d'ivoire : l'information est partout, gratuite. La conversation de même. C'est un joueur, parmi d'autres joueurs. Mais il entend montrer à quel point c'est un grand joueur et, pour cela, veut se rendre disponible à tous. Cela me semble une bataille héroïque pour tirer l'information vers le haut.
Google a pour mission d'organiser à l'échelle mondiale les informations dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous.
Le Times pourrait faire cette formule sienne, si ce n'est que ce serait là le rôle non pas de robots mais d'humains, et plus particulièrement de journalistes.
Ce qui me frappe néanmoins dans cet article, c'est qu'à aucun moment cette stratégie n'est reliée à une problématique économique. Ce n'est pourtant pas que le journal aille bien ! Le Times dispose-t-il de tant de temps que cela ? N'est-il pas remarquable que là où Marc Frons se fait souvent l'écho du succès du travail commun entre développeurs et journalistes, pas un mot ne filtre sur la régie publicitaire ? Le New York Times a déjà relevé le défi du Web : il me semble qu'il lui reste celui de son économie, et c'est une question de survie.
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