La maison avec le numéro 71 a une triste histoire comme toutes les autres... C'est la maison de Bassem al-Kafarnah. Il a été tué sur son propre seuil et il était le père de cinq petites filles...
En novembre 2006 un horrible crime de guerre a été commis par l'armée israélienne dans la bande de Gaza. L'opération n'était dirigée contre des militants ayant l'intention d'attaquer Israël, mais contre de malheureuses familles. Cette action a été commise par la même armée israélienne qui avait déjà rasé au bulldozer des fermes palestiniennes, écrasé des voitures et des maisons.
Je me rappelle chaque détail précis de ce qui s'est passé ce jour-là dans Beit Hanoun. Je veux à nouveau le raconter parce que je me sens encouragé, bien que non complètement satisfait, par ce que l'archevêque Desmond Tutu a déclaré après son enquête à Gaza. Bien que l'enquête sur ce massacre ait eu lieu trop tard, soit deux ans après les faits, c'était malgré tout mieux que rien. Tutu a indirectement mis en cause Israël et l'a estimé responsable de la mort de ces civils.
L'enquête m'a aidé à me rappeler ce dont j'ai été le témoin ce jour-là. Je m'étais précipité sur les lieux et j'ai vu une véritable boucherie. Le sang était répandu sur les murs, les maisons alentour, dans la rue, partout... L'odeur des obus d'artillerie lancés par Israël se mélangeait à celle du sang et de la chair brûlée des enfants et des vieillards. Les femmes, les hommes, les personnes âgées et les enfants se lamentaient et pleuraient. Dix-huit civils venaient d'être massacrés et beaucoup d'autres étaient blessés. Ceux qui ont survécu on perdu des membres ou ont subi d'autres blessures graves.
J'ai dû refaire cette terrifiante comptabilité parce que tant de personnes n'en ont pas entendu parler, ou n'ont pas été correctement informées de ce massacre. Ce qui suit est le témoignage que j'avais rédigé deux jours après avoir été témoin de cette tuerie.
Faits et témoignages
Nous sommes entrés dans la rue ; la maison avec le numéro 71 a une triste histoire comme toutes les autres maisons du secteur. C'est la maison de Bassem al-Kafarnah. Il a été tué sur son propre seuil alors qu'il réclamait une ambulance pour les blessés qui étaient dispersés dans toute la rue. Bassem est le père de cinq petites filles ; la plus âgée d'entre elles a 7 ans et sa femme est sur le point de donner naissance à son sixième bébé. Nous ne sommes pas sûrs que quand elle mettra au monde son bébé elle puisse également se libérer de sa tristesse et de la blessure que représente la perte de son mari qui l'a maintenant laissée seule ; faisons une prière pour ses peines et ses craintes quant à ses six enfants si faibles qui comptent sur elle et sur Dieu pour trouver un appui.
Un obus d'artillerie a détruit l'entrée de la maison. Il a brisé les murs intérieurs, tuant Bassem et enterrant les rêves de ses enfants. La scène s'est terminée ici, ou peut-être a-t-elle juste commencé. Ces cinq enfants n'avaient pas encore réalisé la vraie signification de la vie, mais ils ont découvert l'amertume de la mort et l'ont vécue dans ses moindres détails.
La maison suivante appartient à Madame Nema al-Athamnah. Elle a été tuée en même temps que sa fille Sana. Nema et Sana étaient deux veuves et elles représentaient le seul espoir pour leurs enfants qui sont maintenant devenus des orphelins. Aujourd'hui cet espoir est enterré avec les deux mamans. Sa belle-fille Nehad et ses quatre enfants ont tous été blessés, trois d'entre eux sont toujours hospitalisés après perdus certains de leurs membres.
Umaya, une autre fille de Madame al-Athamnah a été également blessée. Elle a perdu une jambe et a été blessés à l'autre tandis que sa main était cassée, et elle est à présent soignée en Egypte. Sameer, le mari d'Umaya, a été tué. Leur fille Malak, appelée « Ange », a été blessée par des débris des explosions et des éclats d'obus qui ont marqué son si beau visage.
Le frère d'Umaya, Iyad, a été blessé aux deux jambes et peut-être ne pourra-t-il plus jamais marcher. Son épouse Inas est toujours hospitalisée et essaye de se remettre de ses blessures et de ses brûlures. Leur fils Ahmad a une grave blessure à la tête. Que Dieu lui vienne en aide.
Un groupe de femmes s'est réuni autour de moi. Chacune d'elles essaye de me dire ce qui lui est arrivé. Nisreen, une fille de Nema, a raconté : « Ma mère, Manal, et Fatima Masoud, toutes les trois ont été réduites en morceaux de chair brûlée. Nous avons rassemblé ce qu'il restait d'elles sur les murs, les portes et les arbres, et les avons mises dans des seaux portant leurs noms. Nous avons pu les identifier par des morceaux& de leurs vêtements. »
Nous nous sommes déplacés à la maison suivante, nous attendant à des récits différents, mais ils étaient identiques. La seule différence était le nombre de morts. Un chemin de sable sépare les maisons des frères Saad et Masoud al-Athamnah de celle de leur cousin. Neuf obus ont frappé la maison. Oui, neuf.
Le premier obus a heurté la maison entre les deuxième et troisième étages, transformant trois générations d'une même famille en un mélange de chair brûlée et d'os écrasés. Les victimes étaient : la grand-mère, Fatima al-Athamnah, âgée de 78 ans, son fils Masoud, 52 ans, le fils de Masoud, Samir Masoud, de 23 ans, sa fille Fatima, de 18 ans, et sa deuxième épouse Sabah, âgée de 40 ans. Ils vivaient une vie simple, mais leurs derniers instants ont été terribles. Ils ne sont pas morts paisiblement ; ils ont crié et ont réclamé de l'aide ; ils ont essayé d'échapper à l'arme criminelle qui les a poursuivis jusqu'à ce qu'elle leur ait volé impitoyablement leurs âmes. Cette arme a réduit leurs corps en morceaux et les a privés de toute paix dans leurs derniers instants.
Quand les autres voisins ont entendu l'explosion du premier obus, ils se sont précipités dans la rue, dans le même chemin de sable, et là un nouveau chapitre de la tragédie s'est ouvert. Un obus a alors frappé le mur du second étage et a éclaté en éclats brûlants de fer enflammé mélangé à des substances radiatives qui dissolvent les chairs. Ce second obus a tué les fils de Saad et Hayat al-Athamnah : Muhammad, âgé de 16 ans, Mahdi, 17 ans, et Arafat, 18 ans.
Hayat al-Athamnah a stoïquement raconté l'histoire de ses enfants disparus :
« J'ai vu Mahdi, sa tête était grande ouverte et je pouvais voir son cerveau sur un côté. Je l'ai appelé, mais je n'ai pas eu de réponse, alors j'ai crié 'que Dieu donne la paix à ton âme'. Puis j'ai vu mon fils, Muhammad. Son corps était brûlé et déformé et je l'ai appelé aussi, mais seul le silence m'a répondu, et j'ai alors aussi demandé 'que Dieu donne le repos à ton âme.' »
« J'ai fui le bombardement jusqu'à une ruelle voisine ; là j'y ai trouvé mon fils Arafat. La moitié inférieure de son corps était complètement fendue et ses entrailles se répandaient au sol. J'ai dit 'Arafat, mon bébé, mon amour, vas avec tes frères, ils sont tous partis'. Il a soulevé sa tête et s'est regardé, puis qu'il a commencé à rassembler ses chairs en voulant les remettre dans ce qui restait de son abdomen. »
« Oui, il était vivant et il me regardait. Puis il est mort à l'hôpital. »
Les tirs d'obus ont continué. Un autre obus a frappé le balcon du quatrième étage où était couché Mahmoud Majdi al-Athamnah, un autre fils d'Hayat, âgé de 12 ans, le tuant sur le coup. Puis un autre obus s'est écrasé sur le toit, tuant Ahmad, le cousin de Mahmoud, âgé de 10 ans.
Encore un obus, et puis encore un autre. Chaque fois avec de nouvelles victimes : Manal, l'épouse de Ramiz Masoud, âgée de 26 ans a été tuée en même temps que ses deux filles, Maysa, de neuf mois, et Maram, de trois ans. Leur frère Abdullah a perdu sa main gauche et est toujours hospitalisé. Hayat al-Athamnah a raconté : « nous avons trouvé la tête de Maram à l'entrée du chemin et le reste de son corps à l'autre extrémité. »
Mohammed al-Athamnah, le cousin de Saad et Masoud Al-Athamnah, s'était précipité sur les lieux pour appeler une ambulance. Au lieu de cela, c'est son cadavre et ceux des cinq enfants qui ont été emportés.
Hayat al-Athamnah a énuméré les blessures tandis que son mari et leur fils, Abdul Mohaymen, étaient dans un hôpital égyptien dans un état critique. Blessés dans le dos et le cou, ils ont beaucoup de blessures venant des éclats d'obus. La main de son fils Muhammad a été coupée et est restée longtemps dans l'horrible chemin avant que quelqu'un ne l'enlève. Elle me dit : « j'ai vu la main de Muhammad sur le sol. Je l'ai reconnue à cause de sa montre, qui y était incrustée ; elle était aussi crispée sur un téléphone portable et un petit sac. »
* Sameh A. Habeeb est un journaliste indépendant, travailleur humanitaire et militant pacifiste basé à Gaza. Il écrit pour plusieurs sites Web.
Novembre 2006 - Les familles des victimes pleurent les disparus - Photo : Sameh A. Habeeb
24 octobre 2008 - 07h:57 Info-palestine / Sameh A. Habeeb - The Electronic Intifada
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l'anglais : Claude Zurbach