Suite à une erreur d’écriture, la cour d’appel de Paris a été contrainte d’ordonner la remise en liberté d’un violeur récidiviste présumé. L’avocat d’une des deux victimes présumées, dénonce « un vrai scandale, une erreur gravissime » et n’hésite pas à jeter ses foudres sur le président de la chambre de l’instruction « qui n’a même pas relu ce qu’il a signé ». Regrettable certes, mais prévisible. Faute de moyens humains et financiers l’institution judiciaire française est sur le fil, avec des risques de dysfonctionnement omniprésents.
Le 8 octobre dernier, la commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) rendait public son rapport 2008 dans lequel, elle compare les systèmes judiciaires de 43 pays du Conseil de l’Europe. La France figure avec la Finlande en queue de peloton. Le classement n’a rien d’alphabétique. La patrie des droits de l’Homme apparaît comme l’un des États européen qui consacrent la plus faible part de son budget à la justice (0,19 % du PIB, 35e rang). Moins, beaucoup moins que l’Arménie, Andorre, la Moldavie ou la Roumanie.Difficile de faire bien quand le ratio par français en moyens financiers ou humains est nettement inférieur à celui de nos voisins. En moyenne l’Etat Français dépense deux fois moins d’argent par habitant pour la justice que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Pour 100 000 habitants, l’Allemagne dispose de 24 juges, la Belgique 15 et la France 11,9 juges. Côté greffier par juge, tout aussi indispensable au bon fonctionnement de l’institution, comme le rappelle l’affaire mise en avant par les médias, notre pays se classe au 38e rang sur 41…
A juste titre, les organisations syndicales dénoncent un manque criant de moyens. L’effort entrepris pour le budget 2009 (+2,6%) doit être salué dans le contexte actuel. Il constitue néanmoins une goutte d’eau dans un océan de misère tant le retard est important. Parler dans ces conditions de faire mieux avec moins comme le suggère Rachida Dati constitue une provocation pour des professionnels usés et démotivés par le manque de considération dont ils bénéficient tant de la Nation que de leur ministre.
Tous les aspects sont touchés. De l’accessibilité (aide judiciaire, taux d’implantation géographique de juridictions) au fonctionnement ordinaire sans oublier des établissements pénitentiaires indignes d’une démocratie.
On peut rétorquer que de 2004 à 2006, le budget de la justice française a augmenté de 5 %, mais cette progression doit être comparée avec la situation des autres pays. Or, ceux qui affichent la même progression sont le plus souvent dans la fourchette haute de l’effort budgétaire pour la justice. En Belgique, Espagne et Angleterre des efforts conséquents ont été réalisés avec des hausses de 10 % à 30 %.
Le constat dressé par Francis Lapeyre, président du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon dans les colonnes de Ouest France en 2005 est plus que jamais d’actualité. Selon le magistrat, « La justice est ralentie par le manque d’effectifs et de moyens budgétaires ». Quelques lignes plus loin, Francis Lapeyre précisait « Malgré l’informatisation et l’adaptation des postes de travail on n’est plus en mesure de suivre de manière efficace et en temps voulu des dossiers, comme ceux des affaires familiales dont les chiffres ne cessent d’augmenter. » « On nous demande de réduire les frais de justice. Comment faire pour réaliser des enquêtes criminelles où la recherche est poussée, ou les enquêtes sociales dans le cadre des affaires familiales ? »
Même son de cloche, il y a déjà un an sur le blog d’un autre magistrat Michel Huyette (paroles de juges) :
« Les juges affirment parfois que la justice manque de moyens, et que cela les empêche de faire un travail de qualité maximale. Malheureusement, cela correspond souvent à une réalité bien concrète, et une très récente décision de la Cour européenne des droits de l’homme en est une parfaite illustration (Cedh Baucher.France 24.07.07). (…)Les juges ont-ils tous la volonté de respecter les droits fondamentaux de leurs concitoyens ? Oui. Les juges vont-ils alors procéder comme l’exigent le droit français et la CEDH, et motiver tous leurs jugements ? Non ! Pourquoi ? Tout simplement parce que certains d’entre eux ont un tel nombre de dossiers à traiter qu’il leur est matériellement impossible de motiver toutes leurs décisions (motiver prend énormément de temps), et qu’en plus certains tribunaux manquent cruellement de greffiers.
Pourquoi une telle situation qui persiste encore aujourd’hui ? Tout simplement parce que les gouvernements successifs ont, en pleine connaissance de cause, fait le choix de ne pas donner à l’institution judiciaire tous les moyens dont elle a besoin pour remplir parfaitement ses missions (…). Il est intéressant de noter que devant la Cour européenne le représentant de l’Etat français a reconnu cette carence ! Conclusion : c’est vraiment délibérément que les gouvernements français ont laissé perdurer une situation aboutissant à la violation des droits fondamentaux des citoyens. Une dernière question pour finir. Vous aussi vous avez entendu plusieurs fois les gouvernants parler dans les medias des juges qui font n’importe quoi et qui doivent “payer” pour cela ? Mais ceux qui ont décidé pendant des années et aujourd’hui encore de limiter les moyens de l’institution judiciaire, tout en sachant que les juges seraient en conséquence contraints de violer les droits fondamentaux des citoyens français, vont-ils eux aussi devoir payer ? ».
Dans un billet plus récent du 12 octobre au titre prémonitoire « Quand la justice dysfonctionne », le même Michel Huyette relevait dans une autre affaire la généralisation de la dégradation: « Cet empilement de dysfonctionnements successifs (erreur de la police, absence de contrôle du dossier par le Parquet, absence de regard critique sur le dossier par le tribunal, réquisitions en appel tendant à retenir des infractions peu importe si elles sont ou non constituées..) laisse perplexe, et le mot est faible. Il est tout simplement inadmissible. Mais on ne parle déjà plus de justice…. »