Dévotion à saint Joseph
Au couvent, on confie à Bernadette l’infirmerie. Pendant de nombreuses années, tant que son état de santé le permet, elle accomplit sa tâche avec exactitude et charité, souriante, rapide, affable. Puis, dans les dernières années, la phtisie qui la mine depuis longtemps l’empêche de travailler avec une pleine efficacité. Bernadette aime son travail, mais elle accepte sans difficulté cette situation. Sœur Casimir Callery, qui la soigna dans les dernières phases de sa maladie raconte en effet cet épisode significatif de son état d’esprit: «Ma chère sœur Hélène m’avait donné des œufs de Pâques à orner au canif. Je dessinais. Sœur Marie-Bernard grattait, produisant ainsi les modèles. Je me plaignais un jour de ce que ce travail m’énervait. “Qu’importe”, me dit-elle, “de gagner le ciel en grattant des œufs ou en faisant autre chose”».
Bernadette ne laissa presque rien d’écrit mais les épisodes, les réponses, les gestes que ses consœurs rapportent à son sujet révèlent un esprit humble et heureux quoiqu’éprouvé par la souffrance. Dans ses paroles transparaissent un enjouement et une gaieté contenus, une façon ironique d’affronter les difficultés que présentait la vie au couvent, un amour profond pour Jésus et la Vierge et une prédilection pour saint Joseph: «Je sais que, parmi les saints, Bernadette avait une dévotion particulière à Saint-Joseph», raconte sœur Madeleine Bounaix. Elle redisait ces invocations: «Faites-moi la grâce d’aimer Jésus et Marie comme ils veulent être aimés. Saint Joseph, priez pour moi. Saint Joseph, apprenez-moi à prier». Elle me disait à moi: “Quand on ne peut pas prier, on s’adresse à saint Joseph”».
«Pourquoi fermer les yeux?»
«Sœur Marie-Bernard», rappelle une des ses consœurs, «avait une piété aimable, simple, sans aucune singularité. Elle était très régulière, ne manquait pas au silence, mais était aux récréations, d’une gaieté charmante. Elle n’aimait pas la piété grimacière. Un jour, elle me disait en riant, en me montrant une novice qui fermait toujours les yeux: “Voyez-vous, la sœur une telle, si elle n’avait pas sa compagne pour la conduire, il lui serait arrivé quelque accident. Pourquoi fermer les yeux quand il est nécessaire de les avoir ouverts?”».
Les parents de Bernadette, Louise Castérot et François Soubirous
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d’amour aux gestes les plus simples: «Un jour, Bernadette me fit remarquer que je faisais mal le signe de la croix», témoigne sœur Émilienne Duboé. «Je lui répondis qu’assurément je ne le faisais pas aussi bien qu’elle, qui avait appris à le faire de la Sainte Vierge. “Il faut faire attention”, me dit-elle, “car c’est beaucoup de bien faire le signe de la croix”». Et sœur Charles Ramillon dit à ce sujet: «Sa manière de faire le signe de la croix me touchait profondément; plusieurs fois, nous avons essayé de le reproduire, mais en vain. Nous disions alors: “On voit bien que la Sainte Vierge elle-même le lui a enseigné”. Dans l’Ave Maria de Lourdes, les fidèles chantent une strophe qui semble résumer toute la vie de Bernadette: “Au pied de sa Mère, l’enfant qui la voit apprend à bien faire le signe de la croix”.
Quand on lui demandait si cela ne l’ennuyait pas d’être loin de Lourdes, elle répondait: «Je ne suis pas à plaindre, j’ai vu quelque chose de beaucoup plus beau». Certes, elle ne pouvait avoir oublié «les yeux aimés et vénérés par Dieu» (Dante, La divine Comédie, Paradis, XXXIII, 40) qu’elle avait eu le privilège d’admirer tant de fois, fût-ce pour une brève période. Et elle porta en elle pendant toute la vie, tandis que les faits s’éloignaient dans le temps, le désir poignant de revoir ces yeux.
«Elle prenait le crucifix, le regardait et c’était tout»
«Si tu savais ce que j’ai vu de beau là», dit-elle un jour à sœur Duboé. «Quand on l’a vue, on n’aime plus jamais la terre». C’est peut-être pour cela que la Vierge lui avait dit qu’elle ne serait pas heureuse dans ce monde. Mais Bernadette ne tira jamais de ces apparitions l’idée qu’elle avait des droits spéciaux pour le ciel. À une supérieure qui lui demandait un jour s’il elle n’avait pas éprouvé quelques sentiments de complaisance en voyant les faveurs que la Vierge lui avait faites elle répondit: «Que pensez-vous de moi? Est-ce que je ne sais pas que si la Sainte Vierge m’a choisie, c’est parce que j’étais la plus ignorante? Si elle en avait trouvé une plus ignorante que moi, c’est elle qu’elle aurait prise».
Elle garda aussi dans sa maladie qui ne cessa de s’aggraver les derniers temps une sobriété que les sœurs ne manquèrent pas de remarquer: «Je l’ai vue souffrir moralement et physiquement», raconte sœur Joseph Ducout. «Dans ses souffrances, elle n’avait jamais un mot pour exprimer de la peine. Elle prenait son crucifix, le regardait et c’était tout».
Le dernier témoignage qui est parvenu à son sujet vient de sœur Nathalie Portat qui fut à ses côtés dans les derniers moments. Tandis qu’autour d’elle ses consœurs récitent le chapelet, entendant «ces paroles de la salutation angélique: “Sainte Marie, Mère de Dieu…”, Bernadette se ranime et, avec un accent pénétré qui révélait à ce moment suprême son humilité profonde et sa confiance filiale envers la Vierge Immaculée, elle répète deux fois: “Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi pauvre pécheresse”».
C’est le passage de l’Ave Maria qu’elle a toujours souligné durant la récitation du rosaire. Quelques temps après, sur une page écrite à la main en 1866, on trouva cette prière:
Journal dédié à la reine du Ciel
Que mon âme était heureuse, ô Bonne Mère
Quand j’avais le bonheur de vous contempler!
Que j’aime à me rappeler les doux moments
passés sous vos yeux
pleins de bonté et de miséricorde pour nous!
Oui, tendre Mère, vous vous êtes abaissée jusqu’à terre
pour apparaître à une faible enfant…
Vous, la Reine du Ciel et de la Terre,
vous avez bien voulu vous servir
de ce qu’il y avait de plus faible selon ce monde.