Le 24 octobre 1820 naît à La Rochelle Eugène Fromentin.
24 octobre. Dimanche, jour anniversaire de ma naissance. Marché une partie de la nuit; mouillé vers 3 heures au pied de Minieh.
Levé à 5 heures, couru dans toute la ville. Elle est jolie, ressemble tout à fait aux ksours sahariens, mais tout à fait; me rappelle Laghouat. Propreté relative, bazars; aspect bourgeois ; nombreuses canges amarrées. Mosquées. Des bergeronnettes au bord du fleuve, des hirondelles sous la toiture des bazars. Ciel entièrement couvert, vent frais du Nord. Un palais du vice-roi. Beaucoup de soldats arnautes dans les rues. Population infime, misérable et criblée d'ophtalmies. Un bon nombre de gens aisés, propres. Somme toute, une petite province. Pas de ruines antiques. Il est 10 heures, et nous attendons encore le départ annoncé pour 7 heures ; voilà l'exactitude égyptienne !
[Au crayon :] 1 heure. Toujours la chaîne arabique à gauche, baignant dans le Nil ses premières pentes de sable jaune ou de terre ocreuse. Ses gradins supérieurs rocheux sont revêtus de cette belle couleur gris lilas que je saurais peindre, que je voudrais rendre par un mot juste, sans le pouvoir.
À droite, la campagne a reconquis sur le fleuve en décroissance sa vraie rive, exhaussée de terre brune. Hautes plantations de douras. Mille détails charmants de la vie agricole ; Nous passons à une toute petite portée de pierre du rivage.
Village avec palmiers. Partout des cultures, ce qui manque absolument sur la rive opposée.
Depuis Le Caire et le Mokattan, c'est toujours le désert plat et montueux, le sable, la terre nue ou la pierre qui bordent immédiatement le Nil. La fertilité n'existe que sur la rive libyque ; l'autre, dès le départ, confine au désert.
Nous sommes à quinze mètres de la rive, pas davantage. Des petites canges toutes noires, c'est charmant.
Des chadoufs, arrosant déjà les cultures, d'où le Nil se retire à peine. Une vingtaine de canges autour de nous.
Enfants sur la rive ; buffles, petits bœufs roux. Troupeau de moutons le long des douras. (Campagne couverte de blés verts, au commencement de juin en France.)
Les douras ont près de dix pieds; nous les mesurons en voyant des hommes au bord du champ; hommes sombres, noirs ou bleu foncé, se détachant sur le vert transparent des douras.
Toujours des champs en fête. Les palmiers au-delà ne montrent que leurs éventails, éclairés d’en haut, sombres et sans modelé. Âne noir. Tout bleu violet sur la terre bitumeuse.
Chadoufs. Travailleurs tout le long du rivage. Enfants et jeunes gens tout nus, couleur de terre.
Le Nil tournant, la chaîne arabique pierreuse et la rive opposée verdoyante viennent se rejoindre derrière nous et ferment l'horizon comme un rideau, moitié riant, moitié désolé.
Trois ou quatre palmiers, tout à coup sur un banc de grève nue. Pas un seul coloriage nulle part : du vert nuancé, du gris, le fauve azuré du fleuve, le bleu tendre du ciel. Tous les fellahs habillés de noir ou de brun.
Eugène Fromentin, Carnet I inCarnets de voyage en Égypte, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1984, pp.1062-1063.
EUGÈNE FROMENTIN
Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 24 mai 1853/Eugène Fromentin, Un été dans le Sahara.
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