Voici donc la
suite d'hier
Le samedi 5 août
Cher Gérald
Figure toi que j’ai eu une réponse, laisse-moi te narrer la suite de mes aventures.
Il n’y a pas de hasard. Si je n’avais pas eu cette fièvre qui m’avait éreinté, je n’aurais pas eu la visite du facteur avec ce recommandé inutile, je n’aurais pas reçu cette lettre à temps. La poste me semble aussi compétente que notre fournisseur téléphonique.
En prenant le livre oublié par mégarde par S., je n’avais même pas eu l’envie de l’ouvrir et ce bout de papier est tombé. Avec ma discrétion habituelle, je n’en ai lu qu’une ligne. Mais là, comme elle m’en a reparlé, je me suis senti autorisé à y poser un œil curieux. Et je l’ai dévoré. Un exercice d’écriture, mais quelle passion émane de ces mots.
Il pleut à verse, le temps ne change pas dans notre ville morose. Elle m’a proposé de se retrouver dans le parc. Je vais de ce pas quérir un taxi et déposer un mot sous sa porte. Il est encore temps. Je vais derechef lui proposer un rendez-vous plus sûr. Un thé dans les salons de la Bibliothèque. Les ors et les boiseries aux volutes fleuries ne pourront que l’enchanter. L’idée de nous retrouver sous un parapluie pour un échange standard de livres et de la laisser s’échapper m’est insupportable.
J’espère qu’elle repassera par là mais si je ne m’abuse, l’Institut National de Météorologie est à deux pas de sa demeure et à quatre de la mienne.
A bientôt cher ami,
Pierre
Le samedi 5 août,
Chère S H
Je crains que le ciel en ouvrant ses écluses ne contrarie votre offre si charmante, et ce sans regard pour votre statut de météorologiste. Je vous propose donc un autre rendez-vous : mercredi 16h35 au Café Sécession qui se trouve au 1er étage de la bibliothèque municipale, 4 Rue des Echauguettes. N’hésitez pas à m’envoyer un courrier en cas d’empêchement.
Cordialement,
Pierre V
PS : j’ose, puisque, je l’ai parcouru, vous poser une question sur votre exercice de style. Voyez-vous comme tout bon lecteur, l’alchimie entre le rêve et la réalité, le vécu et l’imaginaire m’intrigue. Pourriez-vous éclairer ma lanterne ?
Et oserai-je ajouter que je deviens un aficionado
des bulletins météo télévisuels et radiophoniques, cherchant désespérément à retrouver une trace de vous.
Le samedi 5 août
Cher Pierre,
Je me dépêche de vous écrire pour que vous ayez cette lettre de confirmation avant mercredi. Vous devez me prendre pour une bien piètre prévisionniste, moi qui vous propose un rendez-vous en plein air à un moment où il pleut à verse, mais nous rencontrons actuellement des conditions météorologiques particulièrement inhabituelles et imprévisibles.
Le livre que vous avez trouvé me donnera peut-être quelques explications et m’aidera à comprendre. L’exercice de style m’a été suggéré par le professeur de mon atelier d’écriture. La passion que vous y avez trouvée et cette expérience que je raconte (je rougis de vous savoir l’avoir lue), complètement imaginaires, je tiens à vous le préciser, n’avaient pour but que de travailler sur mes émotions.
Je serai mercredi au Café Sécession. Quel lieu de rendez-vous original au milieu de tous ces livres.
Cordialement,
Sabine H
PS : A mon tour d’oser vous raconter que je vous ai vu, bien à l’abri derrière ma porte, lorsque vous avez déposé votre lettre. Je n’ai pas osé sortir. Sachez, Pierre, qu’en matière de bulletin météo télévisuel, je tiens davantage de la grenouille sur son échelle que de la présentatrice…
PS2 : J’oubliais : je vous ai trouvé charmant, même déformé par mon œil de bœuf.
Le mercredi 8 août
Cher Gérald,Un courriel rapide, c’est le jour J. Une expression comme une autre. Je m’échine à me poser des questions futiles. Chaussures. Cravate ou pas cravate. Jeans ? Aïe, je n’ai plus de cirage. Ni de mousse à raser.
Ne pas me poser les vraies questions.
Pourquoi cette angoisse juste avant ? Pourquoi avoir soudain envie de fuir, cette peur de tout perdre. Se rendre compte, encore une fois d’un trop plein de sentimentalisme.
Je viens d’arrêter la radio. Ce chanteur m’exaspère. Parce qu’il faut attendre trois jours avant de rappeler une dame ! Et pourquoi pas arriver trois minutes en retard pour avoir l’air de ne pas trop se sentir concerné…
Je serai là avant l’heure. Je ne veux pas qu’elle attende.
J’ai relu sa lettre. Admiré le délicat tracé de ses lettres. Senti encore une fois ce parfum de roses délicatement glissé dans les plis de l’enveloppe.
J’ai revécu cent fois cet instant furtif où elle dit m’avoir observé. Mentirais-je si je disais qu’un léger frisson m’avait parcouru ?
Un bref regard au temps qui passe et au ciel d’un bleu duveteux. Je devine qu’à l’instant de fermer ma porte, quand le vent discret qui balaie les arbres m’enveloppera, le bonheur pointera son museau discret.
Surtout, surtout ne pas oublier son livre. Et ce brouillon de lettre si tourmenté.
Quoique… si je le laissais. Si. Non.
Là, il faut vraiment que je parte.
Je glisserai cette lettre à la boîte aux lettres au coin de ma rue, la levée n’est pas encore passée. N’hésite pas à m’appeler, j’ai reçu un courrier m’indiquant que ma ligne serait rétablie ce soir.
Au plaisir de s’entendre, cher ami.
Pierre
Pas de suite... c'était un fragment de correspondance, à vous de vous inventer ce
qui va se passer ;-)