Chaque tableau est toujours pour moi un fragment je demande à ce que l’ on ne considère jamais un tableau seul, ce qui compte, c’ est l’ ensemble de l’ histoire qui avance. Un tableau est comme un mot et pour faire la phrase, il faut beaucoup de mots ou de tableaux. Je me situe dans un espace de plus en plus fracturé, cassé, déchiré où je n’ ai pas de noyau central. Je propose alors une image de la Ruine, à l’ exemple du monde, avec le rêve d’ une réconciliation. Ce sont de petits territoires les uns à côtés des autres, qui constituent le monde.
Jean-Michel Alberola
Et c’est comme de peindre des divagations, faire ricocher des éclats, des pensées surgies, des associations, des mots en avance sur leur sens on aurait l’impression, et qui nous incitent à courir après. Les choses chez Alberola ont une certaine réticence toujours à se laisser saisir, non que ces associations soient tout à fait fantaisistes, d’une absurdité molle, mais elles semblent dévouées à tout et leur contraire. Eloignées de tout dogmatisme, il ne semble que nous ne puissions en tirer plus qu’un éclat soudain et magnifique, quelque peu enfantin parfois et que dans cette espace singulier d’implication rêveuse se joue un peu de l’utopie moderne. Il y a dans ces fragments d’échos comme les images d’un monde disséminé impossible à rassembler tout à fait. Et cette impossibilité (peut-être vécue parfois comme une impuissance) est tout à la fois un jeu fertile inépuisable et une mélancolie. « Ce qui m’ a toujours fasciné, dit-il, est le jeu qui consiste à raconter une histoire à quelqu’ un, qui va la répéter à son tour, etc. C’ est cette perte relative de la phrase initiale, cette transformation qui fait que l’ histoire du début va continuer à vivre en même temps et à mourir. » Et cet entre-deux qui surgit des énoncés paradoxaux de l’artiste comme de ses images à la fois illisibles et bavardes - à la manière d’un journal froissé qui rapprocherait par ses plis des choses inconciliables - cet entre-deux et cette élégance tordue semblent qualifier moins mal qu’autre chose la poétique trouble d’Alberola.
Il y a un an je débutais un article* sur une de ses expositions parisiennes : Force est de constater lorsque l’on tente d’en tracer pour nous la physionomie comme la silhouette de Jean-Michel Alberola fait au sein du monde de l’art figure d’évanescence sauvage et distraitement trimbale avec elle une forte impression de liberté, presque un détachement. A l’avoir croisé parfois en profil, à la manière D’apollinaire dans le portrait prémonitoire qu’en fit De Chirico, j’en ai gardé cette impression d’un homme dont la malice consistait à être là sans y être, pointant par là même comme l’art se joue dans cet état invraisemblable d’implication et de distance, cette soucieuse insouciance que Nietzsche désigne à la source de son activité (introduction à la naissance de la tragédie). Etc.
*"Rien", Semaines, bimestriel n°8, nov/dec 2007.
Illustration : Heimatlos, Technique mixte sur papier, 150 × 118 cm, 2002 Musée d’ Art Moderne, © ADAGP, Paris, 2008
Jean-Michel Alberola - La précision des terrains vagues (extension)- Au Musée d’art moderne St-Etienne Métropole du 11 octobre 2008 au 25 janvier 2009.