Magazine Société

« Chaque homme est une race, monsieur le policier »

Publié le 23 octobre 2008 par Uscan
Poursuivi pour «outrage, incitation à l’émeute et violence envers des dépositaires de l’autorité publique» Patrick Mohr, metteur en scène, et animateur de la compagnie du théâtre Spirale, devait comparaître le 13 octobre au tribunal correctionnel d'Avignon. Il dénonce, au contraire, les violences et l'agression qu'il a subies de la part des policiers, en plein festival d'Avigon. Son avocat, Me William Bourdon, annonce de son côté une plainte qui « établira la responsabilité des fonctionnaires dans cette bavure ».
Lu sur contreinfo.com

«Je m'appelle Patrick Mohr. Je suis né le 18 septembre 1962 à Genève. Je suis acteur, conteur, metteur en scène et auteur. A Genève, je dirige une compagnie, le théâtre Spirale, et m’occupe également du festival « De bouche à oreille». Je viens régulièrement au festival d’Avignon pour y découvrir des spectacles du « in » et du « off ». Notre compagnie s’y est d’ailleurs produite à trois reprises. Le Lundi 21 juillet, je sors avec mon amie d’une représentation et nous prenons le frais à l’ombre du Palais des Papes. Il y a foule sur la place, nous assistons avec plaisir à un spectacle donné par un couple d’acrobates. J’entends le son d’un Djembé derrière moi. Le percussionniste est accompagné par un joueur de Kamele Ngoni. A peine les musiciens africains commencent-ils à jouer, qu’un groupe de C.R.S se dirige vers eux pour contrôler leur identité.

J'ai pensé que l’on se trouvait dans un haut lieu culturel et touristique, dans une démocratie, et que j’avais le droit de m’exprimer face à ce qui me semblait une injustice. Il s’agissait pour moi d’un acte citoyen. J’ai donc abordé un des C.R.S et lui ai demandé :

« Pourquoi contrôlez vous ces artistes en particulier et pas tous ceux qui se trouvent sur la place? »
« Ta gueule, mêle-toi de ce qui te regardes! »

J’ai poursuivi : « Justement ça me regarde. Votre attitude me semble discriminatoire. »
« Tes papiers ! »
« Je ne les ai pas sur moi, mais on peut aller les chercher dans la voiture. »
« Mets-lui les menottes ! »
« Mais vous n’avez pas le droit de… »
Ces mots semblent avoir mis le feu aux poudres.
« Tu vas voir si on n’a pas le droit.»
Et brusquement ils se sont jetés sur moi avec une sauvagerie inouïe. Mon ami et les curieux qui assistaient à la scène ont reculé, choqués, alors qu’ils me projetaient au sol, me plaquaient la tête contre les pavés, me tiraient de toutes leurs forces, les bras en arrière et m’enfilaient des menottes. Les bras dans le dos, ils m’ont relevé et m’ont jeté en avant en me retenant par la chaîne. La menotte gauche m’a tordu le poignet et a pénétré profondément mes chairs. J’ai hurlé : « Vous n’avez pas le droit, arrêtez, vous me cassez le bras ! » « Tu vas voir ce que tu vas voir espèce de tapette. Sur le dos ! Sur le ventre ! Sur le dos, je te dis, plus vite, arrête de gémir ! » Et ils me frottent la tête contre les pavés me tordent et me frappent, me traînent, me re-plaquent à terre. Des gens s’indignent, sifflent, mais personne n’ose interrompre cette interpellation.
Je suis traîné au sol et malmené jusqu’à leur fourgonnette qui se trouve à la place de l’horloge 300 mètres plus bas. Là ils me jettent dans le véhicule, je tente de m’asseoir mais l'un des policiers me donne un coup pour me faire tomber entre les sièges, face contre terre, il me plaque un pied sur les côtes et l’autre sur la cheville il appuie de tout son poids contre une barre de fer. "c'est pour ma sécurité " déclare il narquois. Jusqu’au commissariat de St Roch le trajet est court mais il me semble interminable.

Je vous passe les détails de l’interrogatoire que j’ai subi dans un état lamentable.
« Vous êtes de quelle nationalité ? » « Suisse. »
« Vous êtes un sacré fouteur de merde »
« Vous n’avez pas le droit de m’insulter »
« C’est pas une insulte, la merde » (Petit rire.)
Je comprends qu’ici on ne peut pas s’exprimer librement.
Ils font volontairement traîner avant de m’enlever les menottes.
Font semblant de ne pas trouver les clés. Je ne sens plus ma main droite.
Fouille intégrale. On me retire ce que j’ai, bref inventaire, le tout est mis dans une petite boîte.
« Enlevez vos vêtements ! » J’ai tellement mal que je n’y arrive presque pas.
« Dépêchez-vous, on n'a pas que ça à faire. La boucle d’oreille ! »
J’essaye de l’ôter sans y parvenir.
« Je ne l’ai pas enlevée depuis des années. Elle n’a plus de fermoir. »
« Ma patience à des limites vous vous débrouillez pour l’enlever, c’est tout ! »
Je force en tirant sur le lob de l’oreille, la boucle lâche.

« Baissez la culotte ! »
Je m’exécute. Après la fouille ils m’amènent dans une petite cellule de garde à vue.L’attente commence. Pas d’eau, pas de nourriture. Je réclame en vain de la glace pour faire désenfler mon bras. Je n’écris pas tout cela pour me lamenter sur mon sort. Je suis malheureusement bien conscient que ce qui m’est arrivé est tristement banal.J’ai un casier judiciaire vierge et suis quelqu’un de profondément non violent, par conviction. Après une nuit blanche vers 9h du matin on vient me chercher pour prendre mes empreintes et faire ma photo. Face, profil, avec un petit écriteau, comme dans les films. « Hee bien, ils vous ont pas raté. C’est les CRS, haa bien sur. » J’apprends que je suis poursuivi pour : « outrage, incitation à l’émeute et violence envers des dépositaires de l’autorité publique ». C’est vraiment le comble. Je les aurais soi disant agressés verbalement et physiquement. Je raconte ma version des faits. Ma déposition est transmise au procureur et vers midi je suis finalement libéré. J’erre dans la ville comme un boxeur sonné.
Je marche péniblement. Depuis ma sortie, nous sommes retournés sur la place des papes et nous avons réussi à trouver une douzaine de témoins. Ils certifient tous que je n’ai proféré aucune insulte, ni n’ai commis aucune violence. Les témoignages soulignent l’incroyable brutalité de l’intervention des CRS. J'espère toujours trouver quelqu'un qui ait filmé ou photographié la scène. Après 5 jours de recherches, soudain, un monsieur africain m’a abordé, c’était l’un des musiciens qui avait été interpellé. Il me cherchait depuis plusieurs jours. Il était profondément touché et surpris par mon intervention et m’a dit qu’il habitait Grenoble, qu’il avait 3 enfants et qu’il était français. Qu’il viendrait témoigner pour moi. Qu’il s’appelle Moussa Sanou.
« Sanou , c’est un nom de l’ethnie Bobo. Vous êtes de Bobo-Dioulasso ? »
« Oui. » M’a-t-il répondu surpris.
Nous nous sommes souri et je l’ai salué dans sa langue en Dioula.
Il se trouve que je vais partir créer un spectacle prochainement à Bobo-Dioulasso au Burkina-Faso. La pièce qui est une adaptation de nouvelles de l’auteur Mozambicain Mia Couto s’appellera « Chaque homme est une race » et l'un des artistes avec lequel je vais collaborer se nomme justement Sanou. Coïncidence ? Je ne crois pas. Je suis content d’avoir défendu un ami, même si je ne le connaissais pas encore.
La pièce commence par ce dialogue prémonitoire.Quand on lui demanda de quelle race il était, il répondit : « Ma race c’est moi. » Invité à s’expliquer, il ajouta « Ma race c’est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une humanité. Chaque homme est une race, monsieur le policier. »


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Uscan 107 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazine