Je me demandais l’autre jour le nombre d’évènements merveilleux qui surviennent dans une journée. J’entends par « merveilleux » l’élévation d’un événement au rang poétique. Dit autrement, l’injection d’une émotion agréable à une perception qui, à première vue, semble banale. Prenons par exemple, un ennuyeux retour en voiture, seul, après une bonne journée de travail. Une route puante, des feux tricolores, le flux urbain de fumée, le bruit des moteurs, la succession des masses bétonnées pleines d’ordinateurs, la puissance mélancolique de la couleur grise des villes… Un tel environnement n’a rien de très joyeux, ni de très enrichissant. On peut même se demander comment l’être humain s’est débrouillé pour en arriver à une organisation si monotone. Une sorte d’appauvrissement général des choses.
Pourtant, je crois que l’esprit, par le biais de l’art et des rêveries notamment, peut transformer cette perception. Pour certains phénoménologues, c’est l’émotion qui organise notre rapport au monde (dit « Dasein » : « l’être au monde »). Aussi est-il remarquable de voir à quel point ce triste de trajet peut d’un seul coup être envahi par des particules de musiques, des idées métaphysiques, des phrases littéraires. De constater à quel point il est permis d’imprégner ces pauvres bâtiments d’imaginaire, de changer leur perspective, de les rendre gigantesque et pleins d’intrigues. Et il ne s’agit pas d’une évasion de l’esprit, bien au contraire : la pensée plonge dans le monde et le transforme, lui insufflant une nouvelle vigueur poétique. C’est à mon avis l’un des grands pouvoirs de l’art : celui d’être convoqué n’importe quand, et de rendre au monde, même dans ses recoins les plus pauvres, sa part de mystère et d’absurdité fantastique…